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09H03 - mercredi 18 septembre 2024

Internes de médecine : l’imbroglio du ministère. La tribune du Dr Patrice Fan, membre de l’Institut Chiffres & Citoyenneté

 

En annonçant la réduction de places d’étudiants en médecine, le ministère se trompe de stratégie. En pâtiront les jeunes ayant la vocation, les patients trop souvent en déshérence, et l’ensemble de la chaîne hospitalière déjà débordée par le manque d’effectif.

C’est une volte-face inattendue et incompréhensible. Le 6 avril 2024, le Premier ministre, Gabriel Attal, annonçait l’augmentation du nombre de places en seconde année d’études médicales prévoyant de passer de 10 000 étudiants formés à 16 000 d’ici 2027. Or, via un décret publié dans la torpeur du mois d’août, le gouvernement démissionnaire réduit le nombre de postes ouverts de, très exactement, 9 484 à… 7 974.[1]

Certes, depuis 2019, les effectifs d’étudiants en seconde année ont augmenté de 18,5 %. Las, c’était sans compter les irrégularités générées par la nouvelle formule des Examens cliniques à objectifs standardisés (Ecos) qui, entre leur version d’essai de mars 2024 et la généralisation du dispositif deux mois après, ont incité les étudiants les mieux informés – où les plus prudents – à préférer redoubler qu’essuyer les pots cassés d’une évolution mal préparée.

Pour autant fallait-il, suite à cette baisse très circonstancielle du nombre d’étudiants du fait d’un flou même pas artistique du dispositif d’examen, ajouter à sa faillibilité une décision de réduction d’effectif ?

1 510 internes en moins, représente une baisse de 16 % par rapport à 2023 ! Et cela, alors que les spécialités ont chuté de 17 % à 20 %, voire 50 % pour la chirurgie plastique. Quant à la médecine générale et la médecine d’urgence, elles ne sont pas épargnées avec une baisse de 16 % des effectifs estudiantins, soit 635 postes proposés en moins en dépit de l’aggravation de la pénurie, et 79 postes supprimés en médecine d’urgence. Peu rassurant pour les services hospitaliers…

 

Perte de chance et… manque d’internes

Le cabinet de Gabriel Attal affirme en interview[2] que « comme d’habitude, le nombre de postes ouverts dans chaque spécialité de l’internat est proportionnel au nombre de candidats et qu’il n’y a donc pas de perte de chance pour lesdits candidats. »

En réalité, non seulement la diminution du nombre de postes dans la majorité des spécialités est supérieure à celle du nombre de candidats mais le manque d’internes « sera plutôt d’un millier » à en croire Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants en médecine (Anemf).[3]

Plus de 650 étudiants ont choisi de redoubler leur 5e année, auxquels s’ajoutent 250 étudiants ayant échoué à obtenir la note de 14/20 éliminatoire pour les écrits des Epreuves dématérialisées nationales (EDN), et 60 candidats ayant échoué à l’examen oral des Ecos. De fait, un calcul simple aboutit à un total d’environ 970 internes en moins et non… 1 510.4

Par ailleurs, la distribution de choix n’est pas uniforme. II est probable que les candidats se présentant soient les plus motivés ; si ce nombre de motivés reste identique, le nombre de postes qu’ils convoitaient est, quant à lui, amputé. Nul besoin d’avoir la bosse des maths pour comprendre que les probabilités sont loin d’être identiques.

Comme le souligne certainement sans bien se rendre compte du sens profond de l’affirmation, le ministère souligne qu’« offrir le même nombre de places à l’internat mettrait en lumière les spécialités les moins recherchées, et laisserait des postes vacants, ce qui serait préjudiciable »… Car n’est-ce pas là, l’aveu d’une perte de chance ?

Perte de chance, bien sûr, pour les courageux candidats à l’internat qui sont allés au bout de ce processus de sélection controversé. Perte de chance, aussi, pour les hôpitaux qui devront à la fois gérer un surplus d’externes à former et une pénurie d’internes à répartir dans les services. Perte de chance, enfin, pour les patients fragiles se retrouvant parqués aux urgences durant d’interminables heures et pour les autres devant composer avec des délais de rendez-vous déraisonnables. Pour ceux qui en obtiennent…

 

Pas d’attractivité sans cohérence

Une question se pose. Est-il plus judicieux d’espérer forcer un futur médecin à suivre une spécialité qu’il n’a pas choisi, ou ne pourrait-on pas saisir ce constat d’abandon de certaines spécialités pour redonner aux spécialités en désamour un nouveau souffle d’attractivité ?

De même, le Pr Philippe Juvin, patron des urgences de l’Hôpital Georges Pompidou affirme que « ce n’est pas en diminuant le nombre de postes dans les filières attractives que l’on va rendre attractives celles qui ne le sont pas ! »[4]

Il convient de considérer que ce ne sont pas les besoins démographiques des territoires qui dictent le nombre des spécialités souhaitées. Frédéric Valletoux, admet sur son compte X que le nombre de postes étaient historiquement guidé par le nombre de candidats. Certes. Ajoutons que les décisions ministérielles semblent également, bien souvent, dictées par les limites matérielles et humaines des structures d’accueil universitaires.

La rentrée 2025 marquera un excès ponctuel de candidatorrespondant à l’augmentation du numerus claususadditionné des quelques 1 000 redoublants de cette année. Comment gérer l’examen des ECOS en toute rigueur ? Comment accueillir et former ce brusque surplus de médecins dans les meilleures conditions possible ? Autant de défis qu’il convient de mieux anticiper.

 

Dr Patrice FAN
Membre de l’Institut Chiffres & Citoyenneté
co-rapporteur du rapport de propositions « Irriguer les déserts médicaux : pour des oasis de santé », avril 2024

 

[1] Arrêté du 7 juillet 2024 fixant le nombre d’étudiants de troisième cycle des études de médecine susceptibles d’être affectés, par spécialité et par subdivision territoriale, au titre de l’année universitaire 2024-2025. JORF N°0162 du 9 juillet 2024.

[2] Le Figaro, 20 août 2024.

[3] lanouvellerépublique.fr, 21 août 2024.

[4] Le Quotidien du Médecin, 19 août 2024.