La France est sortie complètement groggy de la dissolution ratée et des scrutins de juin et juillet des dernières législatives anticipées. Et depuis, la plupart des partis politiques, comme après chaque crise politique depuis le début de la Vème République, relancent l’idée de modifier le mode de scrutin et instaurer la proportionnelle. Une proportionnelle totale ou partielle, nationale ou départementale, selon les nuances politiques, et surtout selon les intérêts de chacun.
Quand on se réveille groggy après une mauvaise soirée, ou simplement à cause d’un changement de saison et de températures d’un coup trop basses, il est important de souffler, de prendre le temps de méditer au moins 5 minutes, de refaire place à la lumière du moment en nous, de nous réadapter. Un exercice de détoxification en somme pour ne pas sombrer dans la dépression. Alors procédons à cet exercice et posons-nous la question : en quoi la proportionnelle améliorerait-elle, ou empirerait-elle la situation politique de notre pays ?
Pour les partisans de la proportionnelle, c’est certain, ce mode de scrutin permettrait de représenter plus justement la diversité des opinions de notre pays, et éviterait que les expressions de ces opinions ne se retrouvent dans la rue, façon Gilets Jaunes. La proportionnelle empêcherait une majorité forte à l’Assemblée, non représentative du pays, et favoriseraient la coopération entre les tendances politiques et l’émergence de coalitions. L’image de l’Hémicycle ressemblerait bien plus à la photographie politique instantanée de nos concitoyens. Et les défenseurs du scrutin proportionnel vantent ses mérites en pointant une réalité décrite comme plus démocratique dans les pays où la proportionnelle est la norme.
Mais est-ce vraiment le cas ? Selon moi, ces arguments ne résistent pas à l’analyse et ne correspondent en rien à l’âme politique de la France.
Tout d’abord, les exemples des autres pays sont-ils si positifs ? Regardons la Belgique, l’Espagne, l’Italie, Israël… doit-on vraiment envier leur mode de scrutin ? dans tous ces pays, la gouvernabilité politique a toujours été difficile à assurer. On se souvient de vies politiques bloquées des mois, des gouvernements sans réelle légitimité, des retours aux urnes très/trop fréquents, des coalitions otages des petites minorités qui imposent leurs agendas aux grandes formations.
On est très loin d’une vie politique exemplaire. On est le plus souvent très éloigné de la coalition façon Angela Merkel, prétendument exemplaire, mais bien plus proche des combinaisons, des arrangements à l’italienne façon Andreotti.
Les exemples étrangers démontrent que ce mode de scrutin n’assure en rien la stabilité politique, la gouvernabilité d’un pays.
Allons plus en profondeur. Posons-nous La question : vote-t-on pour choisir nos gouvernants, leur permettre de gouverner et de développer leur programme électoral, ou vote-t-on pour exprimer une opinion ?
A entendre les défenseurs de la proportionnelle, le respect de la diversité des opinions constitue l’alpha et l’oméga de leur choix. Mais les opinions sont-elles pour autant mieux respectées ?
En Espagne, l’opinion des électeurs du parti socialiste est-elle respectée quand ce sont les idées de l’extrême gauche, ultra-minoritaire mais indispensable à la coalition, qui s’imposent, sur le programme économique comme dans les affaires étrangères ? bien sûr que non, la majorité des électeurs de la coalition se retrouve trahie dans les choix retenus. En Israël, la coalition de Netanyahu ne tient que grâce aux quelques députés d’extrême droite qui empêchent les avancées sociales, sociétales comme les plans de paix, auxquels aspirent la majorité des électeurs de Netanyahu.
Veut-on vraiment en arriver là en France ?
Ne soyons pas dupes non plus des intentions de beaucoup de responsables de partis politiques. Quand on vote en mode proportionnel, on vote pour une liste et non pour un député. On vote pour une étiquette, pour une tête de liste, façon tête de gondole, et derrière sont élus les apparatchiks des partis qui ont fait allégeance au Chef. Ceux qui au cours de leur mandat ont su faire preuve de la « diversité » de leur opinion par rapport au Chef sont éliminés la fois suivante.
Prenons l’exemple des dernières élections européennes. Pouvez-vous nommer le second des listes qui se sont présentées à vos suffrages ? Pouvez-vous nommer le second de la liste pour laquelle vous avez voté ? à 98% la réponse est non ! Pouvez-vous donner le nom de votre député, voire de plusieurs députés de votre département ou de votre région ? à plus de 50% la réponse est oui.
Le scrutin majoritaire actuel permet vraiment de choisir ses gouvernants, de les avoir « à portée de baffe », de pouvoir une fois élus les interroger, leur exprimer nos idées, nos revendications, nos reproches. Ils incarnent. Ils sont. Ce que ne sont pas des élus par liste !
Enfin, la France grâce à la Vème République a trouvé un mode de gouvernance qui correspond à son âme politique profonde. Après la Monarchie absolue ou constitutionnelle, le Bonapartisme, deux Empires, la dictature de Vichy, quatre types de République, la France, disons-le aussi grâce à Charles de Gaulle et Michel Debré, vit dans une République qui permet les alternances comme les cohabitations, de blackbouler un président (Giscard, Hollande, Sarkozy) ou de le réélire (Mitterrand, Chirac, Macron). Est-ce un mal ou un bien ?
La France vit dans un régime présidentiel. On choisit, on élit au scrutin majoritaire à deux tours, le président, en fonction d’un programme, de grands choix sociétaux et économiques, d’un bilan. De même, on choisit ses députés en fonction de leurs programmes, de leur capacité à influencer l’écriture des lois à l’Assemblée, et on les juge ensuite en fonction de leur bilan et du respect de leurs engagements pris devant les électeurs.
Avec le mode proportionnel, le choix du programme de la coalition est le plus souvent effectué après le vote des électeurs. Ce n’est plus du tout le même type de mandat. On vote pour des députés qui devront trouver entre eux une synthèse nouvelle, jamais présentée au vote des citoyens.
Ces deux mandats, celui du président et celui des députés, bâtis sur des logiques différentes, ne seraient d’ailleurs plus compatibles, plus coordonnés. Nous aurions deux légitimités inconciliables. Cela n’améliorerait en rien la gouvernabilité du pays, mais au contraire instaurerait une ingouvernabilité institutionnalisée.
Les vraies questions devant l’ingouvernabilité de la présente assemblée ne doivent pas être tant sur le mode de scrutin, car au fond le mode majoritaire à deux tours correspond parfaitement à l’esprit de notre République et des électeurs, mais bien plus sur l’absence de travail de tous les partis politiques, sur l’absence de programmes réels, sur l’absence de prise en compte de la réalité des attentes des Français.
Les attentes sont parfaitement connues : aujourd’hui comment refaire Nation, comment améliorer le Vivre Ensemble, comment vouloir encore Vivre ensemble, non pas à côté les uns des autres ou face à face, mais bien ensemble, comment relever le niveau de vie, comment redonner du pouvoir d’achat, comment améliorer la sécurité, les sécurités, physiques, numériques, sanitaires…, comment stopper l’immigration illégale, comment contrer l’islamisme, comment solidifier les grands principes de notre République, et au premier rang ce beau principe de Laïcité, comment moderniser et optimiser nos Services Publics, comment les faire entrer dans l’ère de l’IA et du 3.0…). Peut-être aussi doit-on se demander si le passage au quinquennat a été une bonne idée, s’il n’a pas empêché la prise en compte du temps long.
Changer le mode de scrutin, c’est finalement ne pas se poser les bonnes questions et leur apporter une mauvaise réponse !
Changer le thermomètre ne fait pas baisser la fièvre…