L’aventure commence en 1817, au pied d’un volcan où se déploie un témoin muet de nos histoires, petites et grandes, tendres et violentes…
« Leur temps n’est pas le mien. Ils me croient éternel. Je les vois comme des éclairs. (…) Ils défilent au rythme de leurs vies rapides. Ils vont, viennent, repartent, bougent, viennent encore comme des insectes affolés sur une ampoule. Ils me tournent autour, me caressent, disparaissent, reviennent, allument des feux, dansent, fascinés par mon immobilité. (…) Savent-ils pourtant que c’est à eux que je dois d’être ancré ici depuis si longtemps ? Savent-ils qu’ils ont été mes maîtres ? Savent-ils aussi que je les comprends bien mieux qu’ils ne l’imaginent ? Peut-être est-il temps de leur parler ? »
Celui qui s’exprime ainsi est un vieil arbre planté au cœur d’une habitation sucrière au début du XIXe siècle. Pendant plus de deux cents ans, le Zamana observe les mouvements des hommes, les chemins de l’histoire, les caprices du temps… Par sa sagesse d’arbre, il jette sur le monde un regard curieux et fasciné. Parviendra-t-il à établir une connexion avec ces petits êtres sans racine ?
Emmanuel de Reynal, chroniqueur régulier dans les pages Outre-mer d’Opinion Internationale, et plus particulièrement Martinique, publie « Zamana », un roman qui offre à nos regards la toute-puissance d’une nature luxuriante et fait appel, subtilement, à nos racines profondes et premières.
Aurore Holmes, présidente de l’association Expressions Plurielles, parle ainsi du roman…
« Le huitième roman, de l’écrivain Emmanuel de Reynal, ne dévie pas du chemin périlleux de la réflexion humaniste, mais le style autant que le scénario se bonifient propulsant toujours plus haut notre plaisir de lecture ainsi que notre fusion au monde, celle qui assume en toute humilité les moindres ramifications de nous-mêmes.
« Zamana ». Du verbe surgit l’essence à la fois solidement plantée mais fragile, fugace et éternelle. Les mots sont sublimes. Ils laissent nos yeux ébahis et nos sens sont submergés par le pouls raisonné ou affolé de la terre.
D’ailleurs, la plupart des mythologies et des religions du monde placent l’arbre au cœur de l’acte de création.
« Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi ». (Genese 1 :11).
Qu’il soit l’arbre de vie ou l’arbre du bien et du mal, il représente avant tout des forces ressenties qui lient l’humain à son environnement. Il nous fait prendre conscience de notre mortalité et de notre arrogance envers ces êtres vivants que nous jugeons inférieurs.
Par ce roman, l’écrivain Emmanuel de Reynal franchit une nouvelle étape, où les multiples symboliques de ses précédentes œuvres, particulièrement Ubuntu et Le passeur de rimes, semblent opérer une fusion naturelle, si évidente. La spiritualité et les ombres générationnelles dans Ubuntu s’unissent à la nature foisonnante, tumultueuse et les transmissions par l’intermédiaire des lieux du Passeur de rimes pour concrétiser dans Zamana, un monde fictionnel et peuplé de créatures humaines et d’arbres vivant en osmose, une osmose parfois inconsciente mais vécue par leurs sensibilités différentes.
L’intrigue se déroule non loin du volcan de la Montagne Pelée, aux Antilles. Les générations défilent sous nos yeux, ancrées à leurs terres d’où elles puisent leurs forces pour se renouveler sans cesse malgré les turbulences, les ouragans, les éruptions, les meurtres. Tomber parfois, mais toujours se relever, à l’unisson avec la nature. Personnages et paysages s’enlacent et se confondent jusqu’aux yeux de Pauline qui pâlissent au rythme des saisons de sa vie, aussi jusqu’au crime de l’un d’entre eux. Un crime pour lequel la réprobation est portée aussi bien par les voix humaines que par le souffle du vent à travers les feuilles des arbres.
L’histoire est palpitante, porteuse d’un lourd labeur, d’amour, de jalousies, de haines, de souffrances, de bonheur et de résiliences. Elle est conçue dans un ensemble passant de l’harmonie au disruptif. Le style poétique nous enveloppe, nous entraine dans les sillons tantôt apaisés, régénérants, puis violents, houleux d’un fleuve charriant émotions, sensations, sensualités, résistances, contemplations et générations.
Zamana est un roman singulier. Son habillage est fait de feuillages, de tourments, de questionnements et de reliance. Sa puissance et sa beauté sont à peine effleurées par les lignes qui suivent :
Je t’aime, l’Arbre vaste, et suis fou de tes membres. Il n’est fleur, il n’est femme, grand Être aux bras multipliés, qui plus que toi m’émeuve et de mon cœur dégage une fureur plus tendre.. Tu le sais bien, mon Arbre, que dès l’aube je te viens embrasser : je baise de mes lèvres l’écorce amère et lisse, et je me sens l’enfant de notre même terre.– Dialogue de l’arbre, Paul Valéry, 1943.
Aurore Holmes
Présidente de l’association Expressions Plurielles