Edito
18H59 - vendredi 20 septembre 2024

Israël et les artistes juifs écartés de Menart Fair et de la scène orientale ? L’édito de Michel Taube et Benjamin Duval

 

La 5ème édition de Menart Fair, foire spécialisée dans l’art du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), s’est logée au cœur de Paris pour ce week-end, à deux pas du centre Pompidou, dans une ancienne fabrique de cravates du Marais. L’édition 2023, qu’avait déjà couverte Opinion Internationale, avait rencontré un franc succès.

 

Honneur aux femmes

Sous la haute verrière, les visiteurs sont plongés dans le monde arabo-persique qui, cette année, est représenté par des artistes féminines. Dans ce lieu baigné de lumière, 29 galeries venues de 12 pays différents exposent les créations poétiques et précurseures de femmes originaires du MENA. Les artistes confirmées comme Saloua Raouda Choucair, Etel Adnan, ou encore Shirin Neshat, côtoient les jeunes pousses et les découvertes du secteur baptisé “Revealing”. C’est le cas par exemple de Samaneh Atef, née en 1989 en Iran et exilée en France depuis 4 ans, dont les dessins au stylo-bille sont présentés par la galerie Polysémie (Marseille). Certaines œuvres puisent dans les symboles des grandes civilisations du Moyen-Orient, comme la Mésopotamie et l’Égypte antique. D’autres s’inspirent de l’artisanat oriental, des motifs ornant les tapis bédouins, des broderies traditionnelles des costumes ou encore de la richesse esthétique de la calligraphie arabe.

Dans cette galerie haute en couleurs, Laure d’Hauteville, la créatrice de Menart Fair, que nous avions interviewée l’an passé, est bien consciente que le choix du 100% féminin constitue un pari aussi audacieux qu’engagé, surtout lorsque l’on se penche sur les arts venus de l’Orient arabe ou persan.

S’agit-il d’une première dans le paysage des foires internationales d’art ? “Les femmes artistes pâtissent d’une sous-représentation et par conséquent d’une sous-valorisation de leur travail, déclare Laure d’Hauteville. Il est indispensable aujourd’hui de leur offrir la place et la lumière nécessaires pour rééquilibrer le marché.” Les femmes artistes ne constituent en effet que 3 % à 5 % des grandes collections dans les musées américains et européens, selon une étude menée en 2017 par le National Museum of Women in the Arts de Washington.

Ce déséquilibre est encore plus frappant pour les artistes femmes arabes, qui ne représentent que 1,5 % des artistes exposés par les galeries. La directrice de Menart Fair souhaite donc mettre à l’honneur ces artistes démontrant que « l’art est une projection vers l’universel » qui dépasse les crises personnelles ou collectives.

 

Israël, grand absent de Menart Fair

Pourtant, un pan non moins important de cet horizon universel semble avoir été oublié par Menart Fair. Sur les 12 pays représentés, aucune trace d’Israël. Aux côtés du Liban ou de la Palestine, largement représentées, une grande absente, donc. L’entente et la solidarité entre pays du MENA, affichée dans les valeurs fondatrices de la Foire Menart Fair, ne semblent pas s’étendre aux mondes israélien d’une part, et judaïque d’autre part, pourtant bien présent historiquement et culturellement dans la zone MENA. Certes, une femme d’origine juive, marocaine, Valérie Ohana, est présente cette année.

Mais de fait, depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, et la riposte militaire israélienne à Gaza puis en Cisjordanie, les artistes de l’État hébreu rencontrent de plus en plus de difficultés à se produire jusque dans l’Hexagone. Début 2024, la tournée de la Batsheva Dance Company a été annulée en France mais aussi en Espagne, en Italie et aux Pays-Bas. La 16e édition du festival du film israélien Shalom Europa a connu le même sort à Strasbourg début septembre, sous la pression d’associations propalestiniennes et des réseaux sociaux.

La Menart Fair ajoute-t-elle tristement son nom sur la liste du boycott ? Selon Le Point, les organisateurs ont écarté au dernier moment la peintre franco-israélienne Orli Ziv au profit de l’artiste palestinienne Mona Hatoum. Cette artiste est pourtant représentée à Paris.

Oeuvre d’Orli Ziv

Les artistes israéliennes exposées mondialement sont pourtant nombreuses. Keren Cytter, connue pour ses œuvres narratives qui explorent la mémoire personnelle et collective à travers le film, la vidéo et l’installation, aurait mérité sa place parmi les artistes féminines du MENA. Elle a été exposée cette année à Paris à Double Standard, Cercle Valrose. 

De même, pourquoi ne retrouvons-nous pas Sigalit Landau, une figure internationale exposant dans les galeries majeures, dont l’une des œuvres les plus emblématiques, “Barbed Hula”, évoque les divisions tranchantes et les conflits persistants dans la région du Levant, notamment les cicatrices physiques et psychologiques laissées par les guerres et les disputes territoriales entre Israël et la Palestine ? En 2024, Sigalit Landau a participé à l’exposition collective « Fenêtre du Studio » à Paris. Cette exposition, centrée sur la peinture, s’est tenue en parallèle de la foire Paris+ par Art Basel.

Dommage car la scène artistique israélienne, souvent de gauche, s’affiche souvent dans le camp de la paix et n’hésite pas à critiquer le gouvernement de Netanhayu.

Dommage aussi car les dirigeants du Hamas, du Hezbollah et du régime iranien, ne verraient pas d’un bon oeil la tenue d’une exposition d’art comme Menart Fair…

Meriem Bouderbala, L’étoffe des Cauchemars, 1992, peinture sur voile, 40 x 40 cm. Courtesy W+S Gallery (Bruxelles), exposée à Menart Fait

L’ensemble de ces annulations et exclusions, bien que non assumées explicitement comme un boycott, reflètent une forme de censure dans le milieu artistique français et occidental qui confine à une bien-pensance fort mal placée voire à une soumission à un climat de plus en plus hostile à tout dialogue avec l’autre.

Menart Fair aurait pu être le lieu de la réconciliation mais force est de constater que l’ostracisme des artistes israéliens concourt à légitimer les partisans de la discorde voire de la guerre dans la région MENA. Est-ce le rôle de l’art ?

 

Michel Taube et Benjamin Duval

Directeur de la publication