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09H06 - samedi 21 septembre 2024

Symbole de l’histoire et histoire d’un symbole : 40e anniversaire de la photo iconique Mitterrand – Kohl du 22 septembre 1984. La Chronique de Max Himm

 

La prégnance de la photographie au service de l’histoire…

La mémoire collective se nourrit de symboles, qui bien souvent traversent les décennies, portés par leurs iconographies. Parmi elles, des photos devenues légendaires, inscrivant un événement au Panthéon de notre civilisation.

Si la puissance de l’iconographie n’est pas nouvelle pour conquérir les esprits d’une population, l’avènement de la photographie dès le milieu du 19e siècle apporte plusieurs dimensions supplémentaires.

En saisissant l’instant, la photographie se veut le reflet authentique d’une réalité et gagne ainsi en légitimité sur la représentation d’une vue de l’artiste que peut constituer une peinture. Cette dimension offre d’ailleurs à la photographie la vertu d’une compréhension par chacun, indépendamment de sa culture, de son langage.

Aisément et rapidement reproductible, la photographie offre à l’information une capacité immédiate de diffusion.

Ces deux facteurs, inscrits dans la conscience populaire, sont d’ailleurs au cœur des questionnements nés des photographies générées par l’intelligence artificielle. Souhaitons toutefois que ces doutes ne viennent jamais dévier le regard de nos concitoyens de la photographie, tant elle est utile pour la presse et… pour l’histoire.

Le XXe siècle s’est souvent révélé aux yeux du monde par le biais de la photographie. Déjà, la première guerre mondiale fut-elle perçue bien différente des précédentes, livrant son vrai visage. Avec la miniaturisation des appareils, l’émergence des grands photographes, artistes de la lumière, mais surtout de l’instant et de l’angle de vue et du cadrage, la photographie nous a offert des instantanés, plus intenses que tous les récits des témoins autre brique incontournable du récit historique.

 

De Gaulle
De Gaulle 2
Cleanton
Presley
NY
Martin Luther King
le 22 janvier 1963 - signature du traité de l’Elysée - Adenauer De Gaulle
JFK
steve-afghane-photo-min.jpg
saigon-execution-photo-min

 

L’histoire de la photo du geste Mitterrand Kohl du 22 septembre 1984

Cette photo, aujourd’hui considérée comme iconique, avait tout pour ne jamais exister et doit beaucoup à la chance et à plusieurs concours de circonstances.

En premier lieu, si l’entente entre François MITTERRAND et Helmut KOHL était parfaite, notamment issue des discussions entre les deux dirigeants dans la maison de François MITTERRAND à Latche et leur vision commune de l’Europe et de son avenir, incarnée notamment au sommet de Fontainebleau en juin 1984 au cours duquel ils sauront refréner les demandes de Margaret THATCHER venue réclamer « I want my money back », la date du 22 septembre 1984 n’était pas prévue pour une rencontre officielle.

Helmut KOHL escomptait que celle-ci se déroula le 6 juin 1984 à l’occasion des 40 ans du débarquement en Normandie. Mais voilà, il n’est pas invité à ces commémorations et fait remonter toute son irritation et son incompréhension, persuadé de sa proximité intellectuelle avec le Président français. François MITTERRAND, en grand sage, avait jugé que la présence d’un Chancelier allemand pouvait heurter les mémoires encore trop exacerbées, mais il lui fallait une porte de sortie. C’est en cherchant dans l’histoire personnelle des deux hommes que Douaumont s’est imposée.

Durant la première guerre mondiale, le grand-père d’Helmut Kohl a été blessé sur ce champ de bataille situé non loin de Verdun. Et c’est sur ce même territoire que François MITTERRAND est capturé par les Allemands durant la seconde guerre mondiale. Voilà de quoi rapprocher les deux hommes et décider de leurs présences communes le 22 septembre 1984 en Meuse pour une journée dense qui commence au cimetière militaire allemand de Consenvoye. La météo est sombre, au diapason de l’humeur de François MITTERRAND. En vain, toute la journée, la presse traque un geste, une attitude qui offrirait l’image du jour. Mais rien ! La journée s’achève avec une séquence devant l’ossuaire de Douaumont. Derrière les 2 hommes, 5000 invités et les photographes positionnés par l’Elysée. La retransmission télévisée nationale s’achève… et toujours rien !

 

Quand l’audace de François Mitterrand est révélée par le retard improbable d’un photographe…

Face aux deux hommes, un photographe unique, Frédéric de la Mure, qui officie pour le compte du Ministère des affaires étrangères, resté un peu trop longtemps entre les tombes de la nécropole nationale pour être positionné avec les autres médias. Ce retard lui offre un positionnement dont il n’imagine pas encore la portée historique. Légèrement en hauteur, aux côtés des caméras qui ne diffusent désormais plus, Frédéric de la Mure enchaîne les photos des deux hommes dignement positionnés devant un catafalque. 

Sa planche contact (voir illustration) rend compte de la séquence. Et pourtant lui aussi ne perçoit pas l’instant où François MITTERRAND tend la main gauche pour saisir celle d’Helmut KOHL. L’émotion du Chancelier allemand est palpable. Mais cela ne suffit pas pour faire entrer cette photographie dans l’histoire. Intervient alors la magie du recadrage qui efface les 5000 invités en arrière-plan grâce à la prise de vue en plongée. Ne subsistent plus que les 2 hommes dont les bras offrent une délicieuse géométrie de composition de l’image. Dans l’absolu, impossible de déterminer le lieu où se déroule ce geste. Seule l’émotion transpire.

 

 

 

 

 

Ne réduisons pas la portée historique du geste Mitterrand-Kohl du 22 septembre 1984…

À tort, certains résument ce geste à la réconciliation franco-allemande : un raccourci erroné et bien trop réducteur.

D’une part, la réconciliation franco-allemande est à porter au crédit de l’audace de Konrad Adenauer et du Général de Gaulle, 30 ans avant le geste MITTERRAND-KOHL et à peine quelques années après les atrocités nazies alors encore dans toutes les mémoires familiales. À l’époque, ils avaient osé dépasser ces pages noires, conscients que l’avenir ne pouvait se construire qu’autrement, jusqu’à instituer l’existence d’une amitié franco-allemande avec le Traité de l’Elysée du 22 janvier 1963. Leur posture s’est imposée comme héritage à leurs successeurs, même à ceux qui n’ont pas personnellement connu la guerre en Europe.

En 1984, devant l’ossuaire de Douaumont qui rassemble les restes de 130 000 soldats français et allemands, François MITTERRAND et Helmut KOHL s’inscrivent dans l’héritage de cette amitié en convoquant à leur tour l’histoire et en affichant leur volonté de surmonter l’héritage des plus sombres heures.

Mais surtout, le 22 septembre 1984 reflète une vision partagée du couple franco-allemand et de son ambition pour l’Europe. Helmut KOHL a pleinement adhéré aux perspectives proposées par François MITTERRAND. L’Europe ne peut rester en paix que si elle conserve ses équilibres, sans qu’un pays ne puisse apparaître par sa puissance faire naître des tensions, mais aussi en cultivant sa capacité à aller de l’avant. En même temps, dès 1984, les deux dirigeants sont pleinement conscients que le régime communiste finira par s’effondrer, condition préalable à une potentielle réunification des 2 Allemagnes.

Forts de ces convictions, ils bâtiront l’Acte unique, les accords de Schengen, puis, lorsque la réunification allemande se profilera, les accords de Maastricht qui offre un euro moins enclin à déséquilibrer l’Europe qu’une concurrence monétaire avec un Deutsche Mark fort.

40 ans après le geste MITTERRAND-KOHL, la vision stratégique et la volonté politique des 2 dirigeants doivent nous interpeller alors que notre Europe patine à se réformer et à s’imposer à ceux dans le monde qui imaginent des modèles alternatifs, souvent autocratiques et hors champ du droit international et des valeurs humanistes qui sont les nôtres.

L’autre enseignement réside dans la nécessité d’une couple franco-allemand uni et convergent, seul véritable moteur de l’Europe. Cette réalité suppose peut-être d’oser une vision à long terme, indépendante de la pression médiatique de l’instant, tenant fermement à ses convictions avec cette capacité de compromis sur l’essentiel qui caractérise les grands moments de la relation franco-allemande.

 

La tentation des dirigeants à vouloir leur geste iconique pour rester dans l’histoire…

Souhaiter inscrire son action dans l’histoire et rechercher une photographie iconique est légitime pour tout dirigeant. L’exemple du geste Mitterrand-Kohl démontre que de nombreux facteurs extérieurs doivent être concordants pour offrir au cliché sa force historique.

La bataille diplomatique et protocolaire de la mise en scène des discussions internationales témoigne de ce désir. Mais, souvent, la spontanéité et l’authenticité offrent les plus beaux clichés.

hollande Merkel attentats 13 janvier
Hollande Gauck 3 aout 2014 Hartmannswillerkopf (photo PH
Chine
Habel

À une époque où tout événement est avant tout pensé en retransmission télévisuelle, le photographe est souvent relayé dans une zone d’où, s’il peut offrir une couverture, il risque de ne pas pouvoir accéder à l’angle de cadrage et à l’instant qui générera un cliché emblématique.

Le renforcement sécuritaire apporte un contrôle et un éloignement redoutables aux photographes qui trouveront plus de matière dans les événements civils, illustrant eux aussi la grande histoire.

 

Comment conserver l’image du Geste Mitterrand-Kohl dans l’histoire ?

Chacun sait que la mémoire s’entretient. Il en est de même pour celle d’une photo iconique. Cela passe par l’explication de son symbole. À l’occasion des 30 ans du Geste Mitterrand-Kohl, l’édition de toutes les caricatures de presse inspirées dans le monde par ce geste a permis d’identifier l’universalité du symbole.

En invitant à s’exprimer les témoins et acteurs de l’époque, ceux qui ont participé à l’organisation, ceux qui connaissaient intimement les deux dirigeants, la lumière s’est faite sur les circonstances et la convergence idéologique des deux dirigeants, appartenant pourtant à des familles politiques opposées.

En offrant ces éléments à la lecture des jeunes générations, la mémoire du Geste Mitterrand-Kohl s’entretient.

 

En expliquant toute la symbolique de ce geste dans des zones de conflits (ce fut le cas à Kaboul en 2014, à Bogota en 2017, …), l’universalité du geste se renforce. En honorant d’autres séquences de la journée du 22 septembre 1984, comme l’a fait Bernard CAZENEUVE entouré de jeunes de l’OFAJ en 2019, la conviction des deux dirigeants s’éclaire et se confirme et offre une autre conception du monde politique : celle de l’engagement, de la conviction au service de l’intérêt général.