Comme toute aventure, celle qui « embarque en numérique » le patrimoine culturel mondial n’est ni sans suspens, ni sans risque. Et surtout, elle ne se joue pas sans nous, Humains !
Le succès des Journées du Patrimoine, ou encore l’émotion qui a entouré l’incendie de Notre-Dame de Paris, illustrent si besoin était cette « histoire d’amour qui existe entre les Humains et leur patrimoine ». Qu’il soit physique ou culturel, cet héritage du passé, dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir, est une source irremplaçable de vie et d’inspiration [1].
Fort de cet attachement, lorsque les outils numériques ont commencé à infiltrer nos sociétés [2], les premiers numériciens les ont poussés à investir notre patrimoine culturel. Ils se sont emparés des potentiels du numérique pour maximiser la vocation du patrimoine à se transmettre. Et désormais, les intelligences artificielles s’en mêlent aussi (à leur manière) !
Des « matériaux » parfois insoupçonnés
Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous connaissons ces « matériaux numériques », mais souvent sans réaliser qu’ils sont des éléments constitutifs de notre patrimoine numérique : documents électroniques, bases de données, sites web, images, vidéos, œuvres d’art numériques, logiciels, jeux vidéo… Sans oublier les données que nous produisons sur les réseaux sociaux ou les forums en ligne.
Une aventure numérique à suspens
Cette aventure a commencé à une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre ! Aujourd’hui évidente, l’indexation des contenus de l’Internet mondial, engagée par Google, a entrepris de placer toute l’information du monde à portée de clic, d’où que l’on soit (ou presque).
Peu après, on a vu poindre les premiers ebooks, « objets de transition » entre le patrimoine culturel physique et son corollaire en numérique, fruits d’une numérisation de masse également initiée par Google dès les années 2000 [3]. C’est cette double démarche qui a fait de cette entreprise de la Silicon Valley, l’un des premiers leaders mondiaux de l’IA.
Au fur et à mesure de sa croissance, le patrimoine numérique mondial doit faire face à des risques et menaces croissants, susceptibles de le rendre inaccessible, voire de le détruire.
Par exemple, il peut être exposé à l’obsolescence des technologies, à la perte de supports (disques externes), à l’écrasement intempestif (oui ça sent le vécu…), au piratage des solutions de stockages, à des cyberattaques (d’autant plus que sa valeur est avérée).
Et ce même s’il existe un ensemble de normes et de bonnes pratiques pour encadrer les processus de préservation et garantir que les ressources numériques restent accessibles et intègres pour les générations futures.
Avec les intelligences artificielles, le suspens se corse !
« Plus les systèmes d’intelligence artificielle évoluent, plus leur impact dans la gestion, la préservation, et la valorisation du patrimoine numérique devient crucial ».
Si les « pouvoirs » des technologies d’IA renforcent les potentiels de découverte de nouveaux objets patrimoniaux, l’accès et la transmission de ce capital immatériel au plus grand nombre, ils engendrent également de nouveaux risques.
Côté « pouvoirs », les algorithmes peuvent être utilisés avec succès, par exemple pour reconstituer des documents historiques, et ainsi faire revivre des savoirs menacés d’extinction. Exemple, le décryptage de récits historiques des Chams [4] datant du Ve au XVe siècle.
Pour valoriser notre patrimoine, l’IA offre aussi des expériences interactives et immersives. Par exemple, des chatbots ou des assistants virtuels permettent de guider les visiteurs à travers des expositions réelles ou virtuelles, en générant des interprétations ou des analyses contextuelles des œuvres.
Côté risques, par leur apprentissage, les algorithmes peuvent véhiculer et augmenter des biais culturels et sociétaux. Appliqués aux données du patrimoine numérique, ces biais peuvent conduire à des erreurs de classification, à une interprétation erronée des données ou à la marginalisation de certains contenus culturels. De même, les systèmes d’IA utilisés pour analyser et indexer des archives numériques, sont susceptibles de les exposer aux mêmes risques que tout autre contenu numérique de valeur.
Sans oublier l’exposition aux deep fakes, un risque majeur intrinsèque aux intelligences artificielles génératives, qui met à la portée de tous (ou presque) la réalisation de « faux » à partir de documents historiques ou d’œuvres d’art.
Le rôle des Humains
Cette aventure et son issue ne sont cependant pas rédigées à l’avance. Nous collaborons chaque jour à son écriture (chacune et chacun à notre façon), comme l’ont fait nos ancêtres depuis la pierre et le feu, à celle de toute technologie qui s’est immiscée au sein de nos sociétés.
Parmi les atouts hérités des chapitres précédents, notre adaptabilité, inhérente à la nature humaine, doit aujourd’hui nous inciter à mieux comprendre ces outils mis à notre disposition, avec des mots-clés : vigilance, formation.
Françoise HALPER
Stratégie digitale, anthropologie numérique, auteure de #cKiou LinkedIn TopVoices IA
[1] Définition de l’UNESCO [2] Arpanet 1969 http ://francoisehalper.fr/genealogie-du-web-et-des-reseaux-sociaux-depuis-arpanet/ [3] 7 millions d’ouvrages numérisés provenant de bibliothèques de différents pays dans le monde [4] Chams https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/focus-sciences/decrypter-les-recits-historiques-des-chams-grace-a-lintelligence