Fahimeh Robiolle est Franco-iranienne, ancienne ingénieur en Iran et au Commissariat de l’Energie Atomique (CEA). Elle est chargée de cours en négociation, gestion de conflits et leadership, en Afghanistan (avant août 2021) en Iran (avant la révolution Femme, Vie, Liberté, septembre 2022), au Liban et en France – à l’ESSEC, à l’ENA jusqu’en 2016, aux Universités Sorbonne, Cergy, Nantes, à l’Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris (programme de leadership pour les lauréats de l’initiative Marianne- et à l’Ecole de Guerre).
Elle a contribué au projet de construction de leadership en RDC et au Burkina Faso et organisé et conduit des programmes de leadership pour les femmes leaders afghanes. Depuis le retour des talibans, elle continue à développer ses activités de plaidoirie pour sensibiliser la communauté internationale d’une part sur l’apartheid de genre et le crime contre humanité en Afghanistan et d’autre part sur le combat de la jeunesse iranienne qui se bat contre un régime totalitaire et terroriste.
Elle est l’auteure de l’ouvrage « Femme Vie Liberté parlons-en », un récit, témoignage et analyse de ce monde qui nous entoure et plus particulièrement l’Iran, la France et l’Afghanistan qui ont forgé sa vie.
La version persane parue le 16 septembre 2024 (Nogaam Publishing), dans le cadre de la commémoration du jour anniversaire de l’assassinat de Mahsa, est en accès libre en Iran et en Afghanistan.
Entretien.
Fahimeh Robiolle, vous consacrez votre vie aux droits des femmes en Iran et en Afghanistan. Quel regard portez-vous sur ces années de combat ?
J’allais régulièrement en Afghanistan depuis 2009, parfois deux fois par an. Un élan fantastique de développement de la situation de la femme avait été lancé au niveau de l’éducation, la santé, l’emploi et de sa contribution à la société civile et à la gouvernance. Près de 4 millions de filles avaient été scolarisées. L’engouement pour le développement, je l’ai constaté à chacun de mes voyages, je l’ai expliqué dans mon livre : pour voter, pour entreprendre, pour faire des études universitaires aussi. La manne financière, plus importante que le financement du plan Marshall en Europe après la deuxième guerre mondiale, qui est arrivée en Afghanistan, a contribué incontestablement à l’amélioration de la situation et au développement des femmes. Cependant, pendant ces vingt dernières années de présence des Occidentaux, cette évolution a été à deux vitesses. Le développement n’a pas atteint les 80% de la population qui vit dans les campagnes.
Les raisons sont multiples mais en premier lieu elles sont dues à la corruption omniprésente. L’hostilité et les freins à cette évolution de la situation des femmes étaient présents et palpables, y compris au sein du Parlement afghan. Au niveau de la gouvernance, la fraude massive dans les élections successives et l’arbitrage des Américains n’ont pas permis de consolider un état de droit avec une force d’opposition. Depuis 2014 on pouvait noter que les conservateurs étaient de plus en plus hostiles à l’émancipation des femmes et à la notion de quotas au Parlement. Ils ont réussi à ne pas voter la loi contre les violences faites aux femmes.
C’est cette année-là qu’Obama a déclaré que les Etats Unis quitteraient l’Afghanistan. C’est à partir de 2018 que des négociations officielles ont commencé par les talibans mais sans les Afghans. Le rôle des femmes restait peu significatif, aussi bien au niveau du Haut Conseil de la Paix et après l’accord de paix des Américains avec les talibans que lors des négociations de l’Etat Afghan avec les talibans à Doha.
Aujourd’hui, cela fait presque 1 100 jours que les talibans ont fermé les écoles secondaires des filles et plus de 500 jours qu’ils ont interdit l’accès des universités aux filles.
En août 2024, on a recensé près de 140 ordres et procédures qui pratiquement tous imposent des contraintes nouvelles pour les femmes et les filles. Les interdictions visent la mobilité, la santé, le travail, l’éducation…
Nous sommes des témoins impuissants devant les constats suivants de ce qui arrive aux femmes : crises psychologiques, suicides, des jeunes filles mariées à peine pubères avec des personnes âgées pour effacer des dettes, accouchements alors qu’elles-mêmes sont encore enfants, donc des morts en couche, des filles vendues de plus en plus jeunes, des jeunes filles emprisonnées et violées par les talibans…
Le résultat est que les perspectives des femmes afghanes sont inexistantes.
La loi dictée par le leader des Talibans dans 114 pages en juin dernier ouvre la porte à des dérapages et des arbitraires des fonctionnaires du ministère de promotion des vertus et de la prévention du vice.
Parmi ces nouvelles obligations figure dorénavant celle de se couvrir le visage, causant son invisibilité totale, et celle de ne pas faire usage de sa voix, même pour demander du secours.
C’est une atteinte à la sécurité de la société.
Au niveau international, nous constatons – et nous le contestons – qu’une reconnaissance de facto de ce régime est en cours en catimini. L’ONU a organisé un 3ème DOHA en présence des Etats-Unis et d’autres pays mais sans les Afghans, comme cela a été demandé par les talibans, pour seulement discuter de sujets économiques et de la lutte contre le trafic de stupéfiants, mais rien sur l’éducation, ni sur travail, ni sur le droit des femmes ni sur un gouvernement inclusif ! Et selon l’exigence des talibans, l’ONU a tout bonnement accepté que les femmes et la société civile n’y participent pas.
Je m’oppose à toutes actions de normalisation en catimini des relations avec ce « de facto Etat » des talibans car l’apartheid de genre et les crimes contre l’humanité sont une réalité en Afghanistan. Nous ne pouvons pas détourner la tête de la situation en Afghanistan.
Le mouvement Femme Vie Liberté en Iran, les femmes en Afghanistan, la communauté internationale les soutient-elle suffisamment et que faudrait-il faire de plus ?
Sur l’Iran nous venons de commémorer le deuxième anniversaire de l’assassinat de Mahsa Amini, jeune femme Kurde tuée par le régime sanguinaire des mollahs. Les revendications des femmes iraniennes remontent à 1979 dès la Révolution et à chaque fois elles ont été contrées avec violence.
La révolution Femme Vie Liberté a changé en profondeur la société iranienne grâce aux femmes, soutenues par des hommes, le régime l’a ressenti et rien ne sera plus comme avant. Aux yeux des Iraniens, le régime a prouvé son incapacité et son inefficacité avec des dirigeants corrompus, incompétents et immoraux. La révolution Mahsa a amené le système au stade de la chute des symboles dont le hijab, le pilier du régime. Le régime iranien, se trouve au niveau de l’effondrement de la structure de l’intérieur. Les évènements actuels au Proche Orient en témoignent.
Combien du temps la phase de l’effondrement de la structure et du régime va-t-elle durer, en utilisant la violence et l’imposition d’un Etat policier ? Personne ne le sait mais la révolution Femme Vie Liberté a fait trembler le régime et l’a contraint à assouplir ses exigences et son comportement au niveau international… On l’a vu avec le discours de cette semaine à l’ONU du Président Pezeshkian, désigné par Khamenei et non élu par le peuple tel qu’il le prétend.
L’effondrement de la structure est en cours et le soutien des Occidentaux et des institutions internationales peuvent le ralentir mais pas le stopper. La révolution Femme Vie Liberté vaincra avec ou sans soutien extérieur. Mais le prix à payer par le peuple en dépendra.
Les Jeux olympiques de Paris 2024, les premières de l’histoire de parfaite parité femmes – hommes entre athlètes, auraient pu être une occasion de porter un éclairage sur le sort des femmes afghanes ? N’est-ce pas une occasion manquée ?
En effet, je souhaite tout d’abord témoigner mon admiration pour Zakia Khudadadi, athlète Afghane réfugiée, qui a obtenu la médaille de bronze en para taekwondo, une grande fierté pour les femmes Afghanes. Elle témoigne dans cet excellent documentaire de France 2 : « A corps perdus ».
Je voudrais aussi dire mon admiration pour l’Afghane Manizha Talash, danseuse de breaking de 21 ans, disqualifiée après son « message politique » : « Libérez les femmes afghanes » inscrit sur sa cape (conformément à la charte d’olympique règle 50-2). Pourtant lors de la réception de sa médaille d’or, la marathonienne néerlando-éthiopienne Sifan Hassan, n’a pas été inquiétée d’apparaître soudainement avec un voile (non conforme à la même règle de la charte interdisant des messages religieux !), alors qu’elle venait de courir pendant plus de deux heures dans la tenue qu’impose l’épreuve du marathon.
C’est tout à fait injuste à mes yeux !
Vous recevez les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, remise par les plus hautes autorités de la République française. Que représente cette reconnaissance pour vous ?
Et que représente la France pour vous ?
Je suis très honorée et reconnaissante de cette distinction, cet honneur est décuplé par le fait que c’est le Grand Chancelier de la Légion d’honneur qui me remet la médaille. Mais je suis persuadée que si je suis celle que je suis, c’est grâce à la société iranienne, toujours en effervescence et bienveillante. Sans cet environnement sociétal propice à l’éducation, au progrès et à l’émancipation des femmes qui se sont ouverts à moi, fille de famille très modeste, qui m’a menée à l’Université de Téhéran, à la physique, au nucléaire et à toutes ces études offertes par l’Etat que je n’aurais jamais pu faire s’il avait fallu les payer.
Ce sont aussi les convictions, la ténacité, le courage, le dévouement, un farouche sens de justice qui m’ont poussée et qui me poussent encore aujourd’hui parfois à la rupture tout en prenant des risques parfois démesurés, qui ont guidé mon chemin.
Même si je ne suis jamais allée à l’école pour apprendre le français, je suis très attachée à cette belle langue. Je défends la laïcité, je suis plus chauvine que des Français de souche.
La France est ma terre adoptive et l’Iran est mon héritage naturel.
Propos recueillis par Michel Taube