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08H56 - mardi 1 octobre 2024

« Pendant les péripéties politiques, le changement climatique continue » : entretien avec Brice Lalonde

 

Brice Lalonde est une figure de l’écologie politique française. Il a notamment été ministre de l’Environnement entre 1988 et 1992, puis sous-secrétaire général de la Conférence des Nations Unies pour le développement durable Rio+20 en 2012. Il est aujourd’hui président du think tank « Équilibre des Énergies » qui réunit des entreprises du bâtiment, des transports et de l’énergie, et travaille sur la décarbonation de ces secteurs.

Michel Barnier a récemment constitué son gouvernement. Brice Lalonde rappelle les priorités environnementales majeures auxquelles l’équipe du nouveau ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques doit faire face dans un contexte de crise économique en France, d’escalade normative européenne et de tensions mondiales mis en perspective des impératifs climatiques.

Brice Lalonde encourage chacun à agir avec détermination, pragmatisme et persévérance, sans grands discours ni dispersion en concentrant nos efforts sur les mesures de décarbonation.

 

Brice Lalonde, que pensez-vous de la constitution du nouveau gouvernement Michel Barnier en matière d’écologie politique ?

Je trouve que les ministres sont courageux d’avoir accepté d’entrer au gouvernement dans les circonstances actuelles. Je loue leur souci du bien commun. Il fallait quelqu’un à la barre. Je crois comprendre que plusieurs candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle ont refusé par peur de prendre des coups. Ainsi des plus humbles ou des nouveaux venus ont pu accéder aux responsabilités. Pour tout vous dire, en ce qui concerne les questions de l’énergie et du climat, c’est sans doute l’un des meilleurs gouvernements depuis huit ans, avec Antoine Armand, Agnès Pannier-Runacher, Olga Givernet, Valérie Létard, Maud Brégeon et bien sûr le Premier ministre lui-même.

 

Ce gouvernement est pour le moins fragile et sera peut-être plus un gouvernement de transition que de conduite des affaires de la France. Or l’écologie a besoin de temps long.

Quelles sont les priorités sur lesquelles pourrait utilement se concentrer Agnès Pannier-Runacher ? Elle qui, lors des Rencontres de la sociale écologie à Beaucouzé, esquissé ainsi sa feuille de route : « Il faut arriver à construire ce discours et ce narratif qui réconcilie fin du monde et fin du mois », « montrer que le pouvoir d’achat peut coïncider avec l’écologie. » Avec des collègues dont certains flirtent avec le climato-scepticisme, il lui faudra sans doute plus que des mots. Quels doivent être les essentiels de sa feuille de route, si tant est, qu’elle parvienne à convaincre Michel Barnier de s’atteler à la « dette écologique » de la France comme il l’avait déclaré le soir de son arrivée à Matignon ?

Le premier travail est d’organiser la continuité de la politique menée depuis le discours de Belfort du président de la République, qui marie écologie et industrie. Des lois attendent d’être votées au Parlement, sur l’énergie, l’adaptation au changement climatique, la stratégie bas carbone, il faudra bâtir une majorité sur ces textes qui engagent l’avenir du pays. Un secrétariat à la planification avait été constitué auprès du Premier ministre, il faudra utiliser ses travaux. Les émissions françaises de gaz nuisibles ont baissé depuis deux ans, il faut continuer sur cette trajectoire. L’une des contributions importantes à cette baisse est le passage des véhicules légers aux moteurs électriques. Compte tenu de l’importance de l’industrie automobile dans l’économie française je pense qu’il faut donner une priorité à cette électrification qui est difficile, mais indispensable. Elle réclame la mise en place d’une panoplie de mesures d’accompagnement, aide à l’achat, véhicules et batteries abordables, bornes de recharge intelligentes et bidirectionnelles, tarification incitative aux heures d’abondance électrique, formation des garagistes, sécurisation nocturne des points de recharge, etc.

 

Olga Givernet est nommée à l’Energie. Quels choix énergétiques pour décarboner nos industries, nos transports et nos bâtiments et sortir la France des énergies fossiles ?

Le choix majeur est celui de l’électrification de la société française. Aujourd’hui la consommation d’électricité représente environ le quart de la consommation finale d’énergie. Elle devra dépasser la moitié en 2050, ce qui signifie non seulement assurer une production accrue d’électricité décarbonée grâce au nucléaire et à l’électricité d’origine hydraulique, solaire et éolienne, mais aussi comme vous le signalez de remplacer les fossiles par l’électricité décarbonée dans les usages de l’énergie, c’est-à-dire dans les industries, dont le numérique est un gros consommateur, les bâtiments et la mobilité. Chacun de ses secteurs fait l’objet de politiques spécifiques. J’ai parlé des véhicules. En ce qui concerne les bâtiments, le gouvernement devra éviter la précipitation ou les surenchères, dessiner une trajectoire pragmatique, lever les freins à la pénétration de l’électricité et corriger les erreurs du DPE. Aux côtés de l’électricité c’est la chaleur renouvelable qu’il faut développer, avec les réseaux de chaleur, les pompes à chaleur, la géothermie. Enfin l’hydrogène jouera un rôle dans l’industrie et la production de carburants non fossiles pour l’aviation.

J’ajoute que l’électrification aura besoin de réseaux en bonne santé, plus nombreux et résistants aux intempéries. Il faudra travailler à la complémentarité entre nucléaire et solaire car si l’électricité solaire est la moins chère, il ne faut pas oublier que l’électricité n’a de valeur que lorsqu’on en a besoin. La flexibilité sera un maître mot. Le gouvernement devra régler le contentieux avec Bruxelles qui pèse sur les ouvrages hydrauliques. Ils sont indispensables à cette flexibilité et peuvent être modernisés.

 

Les appels légitimes à moins de réglementations et de normes françaises et européennes ne vont-ils pas freiner les efforts de responsabilisation des Français en matière climatique et énergétique ?

Ce qui est certain c’est qu’il ne faut pas que la France enchérisse sur les règles européennes. Pour celles-ci faisons l’inventaire des normes inutiles ou contreproductives. Il est possible que l’Europe se soit vue un peu naïvement entraîner le monde par ses normes. Elle a voulu sélectionner minutieusement les techniques qui lui paraissaient appropriées et interdire les autres. Le mieux est souvent l’ennemi du bien Aujourd’hui l’Amérique et la Chine mènent leurs propres politiques climatiques, beaucoup moins restreintes et davantage fondées sur l’incitation que sur l’interdiction. Le rapport Draghi n’a pas manqué de le constater. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Personnellement j’aimerais monter une conférence mondiale des entreprises faisant le point sur leurs obligations et réclamant aux politiques une concurrence loyale plutôt qu’une course au moins-disant.

 

Les années Macron ont pour le moins été inspirées par une forte dose de centralisme démocratique, jacobin et jupitérien. En même temps, la planification écologique lancée avec le second quinquennat d’Emmanuel Macron a tenté de plus intégrer les collectivités locales à l’approche de l’Etat. Michel Barnier est un homme des territoires autant qu’un grand commis de l’Etat. Où doit-on placer le curseur pour préparer l’Etat et nos territoires aux nouvelles réalités climatiques ?

Les grandes infrastructures sont du ressort de l’Etat, les lois de celui de l’Union européenne et du Parlement. Ensuite la déclinaison s’opère dans les territoires, les intercommunalités, notamment à l’échelle du SCOT, sont les plus à même s’établir les plans de mobilité ou d’habitat, tandis que l’échelon plus local encore, celui qui connaît bien l’état des bâtiments, la présence des artisans et des entreprises, la desserte des communes, peut mener efficacement la rénovation de l’habitat de son périmètre. Sans doute la décentralisation des moyens de production d’énergie pourrait permettre d’expérimenter plus de concurrence. Ce qu’il faut éviter c’est par exemple l’excessive hétérogénéité des règles de circulation urbaine que l’on a constatées pendant la saga des zones à faible émission, un vrai casse-tête pour les automobilistes européens.

 

Brice Lalonde, vous avez été ministre de l’environnement de 1988 à 1992, sous Michel Rocard et Edith Cresson, pendant plus de quatre années. Un record à ce ministère ! Un conseil pour Michel Barnier, et ses deux ministres ? Peut-on espérer que celui qui a été à l’initiative de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement ait toujours comme priorité la cause environnementale ?

Quand j’ai fait la connaissance de Michel Barnier, jeune député promis à un bel avenir, il venait d’écrire Le Défi écologique. Chacun pour tous. C’était un excellent livre, plein d’idées. Ensuite il a bel et bien été un bon ministre de l’Environnement, attaché à boucler ses dossiers. La loi que vous évoquez a été très utile pour venir en aide aux victimes de catastrophes naturelles. Il est possible que certains des soutiens actuels du Premier ministre regrettent les droits que cette loi a donnés aux associations, la création de la Commission du débat public et la référence au principe de précaution. Il est dit parfois que ces dispositions entravent les projets de développement. Je pense que Michel Barnier ne renie rien de son action passée. En revanche la cause environnementale n’est sans doute pas la priorité de son gouvernement en ce moment. Il y a la guerre, la dette, l’absence de majorité, la tension au Parlement, la menace d’une motion de censure… Ce que j’espère du gouvernement c’est qu’il fasse comprendre aux Français que pendant les péripéties politiques le changement climatique continue et qu’il ne faut pas s’arrêter de le contrer, mais qu’il n’est pas besoin d’effets de manche ni de hauts cris, simplement de détermination, de pragmatisme et de persévérance. Comme chacun sait le lièvre a perdu, la tortue a gagné.

 

Propos recueillis par Géorgia Sarre-Hector

 

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