Edito
10H45 - mercredi 2 octobre 2024

En attendant la censure… L’édito de Michel Taube

 

Dans la tempête que traverse la France, le président a, comme un funambule sur un fil, trouvé une issue provisoire à la crise politique qui tournait en une crise de régime, en nommant Michel Barnier à Matignon.

Comme il l’avait annoncé, avec son discours de politique générale, Barnier a dévoilé sa méthode : l’apaisement des tensions, des compromis subtils et silencieux, le contrat plutôt que la contrainte, et une gestion de crise prudente.

Le gaulliste de toujours a multiplié les références à de grands hommes de gauche, de Pierre Mendes-France à Michel Rocard. Tout un état d’esprit et l’engagement de relancer l’épargne et l’investissement salarial.

La méthode Barnier s’articule autour de ce que d’aucuns ont salué comme de la « pragmatique sagesse ». Barnier prône la rigueur budgétaire avec des coupes dans les dépenses publiques pour les deux tiers de l’effort à consentir, tout en voulant préserver les plus fragiles et misant sur des augmentations d’impôts pour les plus fortunés (vieille tradition française).

L’augmentation de 28 euros nets mensuelle du SMIC (quelle marge de manœuvre tout de même pour le politique !) est déjà abondamment commentée alors que la principale annonce est certainement l’extension à tout le territoire du prêt à taux zéro pour la primo-accession à la propriété.

Par nécessité plus que par conviction, et pour contenter ses rivaux dont il a tant besoin pour ne pas tomber trop vite, le premier ministre s’est donc engagé sur une réflexion sur le scrutin proportionnel et des aménagements de la réforme des retraites.

Enfin, c’est certainement dans la relation entre l’Etat et les collectivités locales que l’empreinte Barnier se fera le plus sentir par rapport aux précédentes années Macron. Le premier ministre, fervent partisan de la décentralisation, a plusieurs fois tendu la main aux élus locaux et proposé de leur redonner des marges de manœuvre et surtout de la confiance. C’est peut-être sur ce volet des politiques publiques que l’on a ressenti avec le plus d’acuité la présence effacée d’un grand absent : le président de la République, peu souvent cité ni même évoqué par Michel Barnier. L’hôte de l’Elysée aurait-il vraiment pris du recul ?

Mais derrière toutes ces annonces et ce discours se cache une urgence : gagner du temps. Ce qui ressort de ce discours, c’est une série de promesses enveloppées de prudence, mais peu de décisions radicales pour affronter les défis à court terme. Pouvait-il en être autrement ?

Ce positionnement, pourtant, a été largement applaudi par la classe politique, à l’exception prévisible des Insoumis. Parmi les droites comme au centre, on salue le choix de Barnier de rétablir une certaine sérénité institutionnelle. Le dialogue avec les forces parlementaires est mis en avant, et même au sein de l’aile conservatrice, on semble prêt à accorder à Michel Barnier un peu de répit.

 

Le chef de gouvernement mérite à tout le moins la palme de la zénitude. Il n’a pas bronché une seule fois devant le brouhaha permanent et assourdissant des Insoumis qui ont transformé la reprise des travaux parlementaires dans l’hémicycle en théâtre de la discorde. Leur grotesque carton rouge matérialisé par des cartes d’électeurs brandies au début du discours de Barnier restera comme l’une des images les plus infantiles et déplorables de cette session parlementaire. Cet acte, loin de porter un quelconque message constructif, a illustré leur refus obstiné de s’inscrire dans une opposition républicaine et respectueuse des institutions.

Le chapitre le plus révélateur de la méthode Barnier est sans doute celui de la Nouvelle-Calédonie. En annonçant un comité interministériel pour le premier trimestre 2025, en reportant les élections provinciales à fin 2025, en renonçant à déminer le dossier explosif du dégel du corps électoral, sans afficher un plan financier ambitieux pour soutenir la reconstruction de l’archipel, Michel Barnier a laissé entrevoir sa véritable stratégie : noyer le poisson. Plutôt que d’affronter le problème de front, le Premier ministre temporise, espère que la situation se tassera d’elle-même. Mais comme souvent, le temps ne résout rien, il aggrave les blessures.

De même sur l’immigration, ses annonces relèvent davantage d’un pansement sur une plaie profonde. La réaffirmation de son soutien au Pacte asile et immigration voté par l’Union européenne est une faute politique. Son entrée en vigueur, prévue en 2026, aggravera la situation et c’est un Européen convaincu qui vous le dit. Le premier ministre aurait mieux fait d’annoncer une rencontre au sommet entre chefs de gouvernement concernés, de Mr Stammer en Grande-Bretagne à Madame Meloni en Italie, pour reprendre en main le destin démographique de nos pays et de notre continent.

En somme, Barnier incarne une méthode de gestion qui consiste à éviter la confrontation directe, tout en espérant que les tensions se dissiperont. Mais face à la crise politique, économique et sociale que connaît le pays, le temps pourrait bien être le pire ennemi de Michel Barnier. La censure semble flotter au-dessus de sa tête, et il se pourrait que ce répit provisoire s’évanouisse aussi vite qu’il est apparu.

Michel Taube

Directeur de la publication