Actualité culturelle
17H02 - mercredi 2 octobre 2024

Intercepted, le documentaire d’Oksana Karpovych au coeur de cette armée de civils russes qui ont perdu leur humanité.

 

Six mois seulement après sa présentation à la Biennale de Berlin, c’est à Metz, à l’initiative de l’association ELU (Échanges Lorraine Ukraine) que nous découvrons le documentaire, Intercepted, d’Oksana Karpovych, une jeune réalisatrice ukrainienne.

Ce film qui a reçu une mention spéciale du jury Amnesty International nous plonge pendant près de soixante minutes dans une perception parallèle de la guerre en Ukraine. Loin de celle qui tourne en boucle sur les chaînes d’informations continues depuis plus deux ans. Oksana Karpovych nous propose ici d’appréhender cette sale guerre, sous un angle différent, celui des conversations téléphoniques de soldats russes.

Ce sont près de trente-deux heures de conversations interceptées par les services secrets ukrainiens que cette réalisatrice a écoutées. Trente-deux heures que l’on imagine d’une violence extrême pour cette jeune ukrainienne.

Le synopsis ne nous prépare pas à la brutalité de ce film.  » À l’image, des Ukrainiens tentent de vivre malgré l’invasion de leur pays. Au son, des conversations interceptées où des soldats russes se confient à leurs familles. Intercepted superpose le monde de celui qui détruit et de celui qui est détruit pour révéler la terrible réalité de cette guerre et l’impasse de l’invasion russe en Ukraine « .

 

Une haine aveugle 

Oksana Karpovych, dont c’est le cinquième film, a imaginé ce documentaire comme un road movie.  » Au fil de mes écoutes, j’avais l’impression que ces soldats racontaient à leur famille un voyage touristique en Ukraine. Ils en avaient la même exaltation. Les mêmes anecdotes. Ils leur ramenaient des souvenirs  » nous confie la réalisatrice.  » D’où l’idée de prendre la route et de parcourir l’Ukraine « . Ses images tournées dans quatre villes, sans que l’on puisse jamais les reconnaître, parviennent à tisser un récit visuel intense et contrasté avec les conversations, nous  » obligeant à une dissonance cognitive  » comme elle le revendique.  » Je ne voulais pas illustrer les propos des soldats. Ils suffisent pour que l’imaginaire du spectateur se mette en marche et visualise l’horreur qu’ils décrivent  » poursuit-elle.

 » Mes images sont uniquement superposées aux conversations des soldats russes. Je n’ai pas souhaité non plus de commentaires. Je voulais que le public prenne une part active dans ce qu’il voyait. Rien ne devait le polluer  » nous explique Oksana.

Ces échanges entre soldats russes et leur mère, sœur, petite amie… font froid dans le dos. Ils retranscrivent la volonté de ces soldats, qui hier étaient encore des civils, de dénier aux ukrainiens leur qualité d’êtres humains, les qualifiant de cafards et dans leurs échanges les plus odieux suggérant d’en faire des brochettes. 

Une inhumanité d’une partie du peuple de Poutine conditionnée par la propagande d’État comme l’illustrent certaines conversations. Désir d’une vengeance irrationnelle et surtout jalousie d’une meilleure situation économique que la leur, dont la plupart des coups de fil achèvent de décrire des familles pour une partie d’entre elles, confondant patriotisme et haine aveugle. 

Au milieu de cette ignominie apparaissent quelques réflexions de soldats ou de femmes lassés par les mensonges sur l’avancée des troupes.

Un road movie, à la limite du paradoxal, faisant appel à d’innombrables plans fixes emprunts de la torpeur de ces familles ukrainiennes résiliantes. Seul le vent et ses courants d’air rappellent que ces maisons et appartements éventrés, ces paysages dévastés, sont les symboles d’une Ukraine toujours vivante qui continue à se battre.

Un documentaire éprouvant mais essentiel en forme de constat d’une pensée toxique qui porte l’espoir grâce à la vie qui persiste au milieu des destructions, et à quelques fragments de raisonnements empreints de prise de conscience. Espérons qu’ils contribuent à rendre sa liberté au peuple ukrainien.

Intercepted continue sa route. Aujourd’hui à Paris au Conseil de l’Europe dans le cadre d’une session sur la paix et d’ici quelques jours sur les écrans de New-york et du Canada.

 

Merci Oksana Karpovych pour cette mise en abîme.

Merci Pauline Van Lin Tran Lieu (productrice) pour avoir rendu possible ce documentaire.

Merci à l’Association ELU et à Violeta Mosakalu, sa présidente, pour éveiller notre conscience.

Merci au peuple Ukrainien pour sa résilience.

 

Oksana Karpovytch

Cinéaste, écrivaine et photographe, née en 1990 à Kyiv (Ukraine), Oksana Karpovych est diplomée en Études culturelles de l’académie Kyiv-Mohyla, puis étudie la production cinématographique à l’université Concordia de Montréal. Don’t Worry remporte le prix New Visions aux RID Montréal 2019, puis reçoit une mention spéciale à Hot Docs Toronto 2020.

FILMOGRAPHIE LOST (CM, DOC, 2015) – TEMPORARY (CM, DOC, 2017) – DON’T WORRY, THE DOORS WILL OPEN (DOC, 2019) – INTERCEPTÉS INTERCEPTED (DOC, 2024)

Pour aller plus loin : Rencontre avec Oksana Karpovytch diffusé sur ARTE

 

 

Géorgia Sarre-Hector

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