Edito
06H57 - jeudi 3 octobre 2024

La mort des campagnes ou l’aveuglement des élites urbaines. L’édito de Sofiane Dahmani

 

La France se vide. Pas celle des villes, non. Pas la France des gratte-ciels de verre, des start-ups et des trottinettes électriques. La France qui se vide, c’est celle des clochers, des champs, des petites places de village où l’on entend encore le clocher sonner l’angélus. C’est la France des campagnes, celle des territoires oubliés. Cette France-là est en train de mourir, lentement mais sûrement, et personne ne semble s’en soucier. Les politiciens, englués dans leurs querelles partisanes à Paris, ne voient plus ce qu’il se passe au-delà du périphérique. Ils se félicitent des réussites économiques de nos métropoles, oubliant les désastres ruraux. Et pourtant, c’est là que le cœur de notre nation bat, ou plutôt se meurt.

Le dépeuplement rural est le symptôme d’une France qui ne sait plus ce qu’elle est. Depuis la révolution industrielle, nos campagnes ont été vidées de leur substance, saignées par une urbanisation galopante. Les paysans, autrefois piliers de la société, sont devenus des fantômes. Les petites exploitations agricoles, jadis nombreuses, sont aujourd’hui balayées par des monstres agro-industriels. La paysannerie a été sacrifiée sur l’autel du progrès, comme s’il était inconcevable que la modernité et la ruralité puissent cohabiter. Mais il ne s’agit pas seulement de la mort d’un mode de vie ancestral. Il s’agit d’un véritable effondrement de notre identité nationale.

 

Les causes profondes du dépeuplement rural

L’industrialisation d’abord, la métropolisation ensuite : telles sont les deux grandes phases du massacre. Lorsque les grandes villes ont aspiré l’activité économique, elles ont précipité un exode massif des campagnes. Les jeunes sont partis, attirés par le mirage urbain, celui des lumières artificielles et des faux espoirs d’ascension sociale. Ce phénomène s’est accéléré au cours du 20e siècle, jusqu’à laisser nos villages désertés, figés dans une torpeur mortifère. Les écoles ont fermé, les hôpitaux aussi. Les commerces de proximité ont disparu, remplacés par des supermarchés impersonnels situés à des dizaines de kilomètres. Le train ne s’arrête plus dans ces petites gares que l’on voit de temps en temps à travers la vitre d’un TGV, filant à toute vitesse vers une autre grande ville.

Les causes de ce dépeuplement sont multiples et interconnectées. D’abord, il y a la question économique. La mécanisation de l’agriculture a réduit le besoin de main-d’œuvre dans les zones rurales, entraînant une migration massive vers les villes, où se concentraient alors les nouvelles opportunités d’emploi. Cette première vague de désertion a été suivie par une deuxième phase dans les années 1960-1980, marquée par la fermeture des petites exploitations agricoles, qui ont laissé de nombreuses familles sur le carreau. En parallèle, le vieillissement de la population rurale, combiné à une natalité en chute libre, a aggravé la situation démographique.

Il faut également évoquer l’urbanisation galopante et le phénomène de métropolisation. Les métropoles sont devenues des aimants, attirant tous les flux économiques et humains. Le déséquilibre géographique qui en résulte est flagrant : les grandes villes continuent de croître, tandis que les zones rurales s’appauvrissent. Ce phénomène s’accompagne d’un isolement grandissant des territoires, marqué par la fermeture des lignes ferroviaires locales, des écoles, des hôpitaux, et des commerces de proximité, qui réduisent considérablement l’attractivité des campagnes.

 

La fracture numérique : un obstacle à la revitalisation

Un autre obstacle majeur à la revitalisation des campagnes est la fracture numérique. L’accès à Internet haut débit, aujourd’hui essentiel pour toute activité économique, a longtemps été le privilège des villes et des zones périurbaines. Cette inégalité a eu pour conséquence de réduire les opportunités de développement dans les zones rurales, empêchant la création de nouveaux emplois dans des secteurs clés tels que le télétravail, l’e-commerce, ou les services numériques.

Bien que des progrès aient été réalisés en matière de couverture numérique, notamment avec l’extension de la fibre optique dans certaines régions, certaines zones rurales restent encore mal desservies. En 2020, une étude révélait que 15 % des zones rurales françaises n’avaient toujours pas accès à un Internet de qualité suffisante pour permettre des usages professionnels. Cela freine les initiatives de jeunes entrepreneurs intéressés par la ruralité, notamment dans les secteurs de la tech et des services à distance. La digitalisation de l’économie étant inévitable, il devient crucial de garantir une couverture numérique optimale pour permettre aux campagnes de capter les nouveaux flux économiques.

Le dépeuplement rural n’est pas une fatalité, mais bien le résultat de choix politiques et économiques qui ont progressivement relégué les campagnes françaises au rang de vestiges du passé. Cette situation est le produit de décennies d’inaction et d’aveuglement des élites urbaines, trop occupées à célébrer la réussite de leurs métropoles. Mais ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la survie des territoires ruraux, c’est celle de notre nation tout entière. Car la France, sans ses campagnes, n’est plus vraiment la France.

Pour inverser la tendance, il ne suffira pas de mesures symboliques ou d’aides ponctuelles. C’est une véritable refondation de notre modèle territorial qui est nécessaire, une réconciliation entre la modernité et la ruralité. Cela passe par un réinvestissement massif dans les infrastructures rurales, un soutien sans faille à l’agriculture de proximité, la relance des services publics, mais aussi une révolution numérique qui permette enfin aux campagnes de capter les opportunités de demain.

Si la France veut rester une nation fière et unie, elle ne peut continuer d’ignorer la moitié de son territoire. Les campagnes ne doivent pas être les oubliées de la République, mais bien le cœur battant de son avenir.

 

Sofiane Dahmani, Chroniqueur