Opinion Territoires
16H39 - jeudi 3 octobre 2024

L’avenir des villes moyennes en France : entre déclin et renouveau. La chronique de Sofiane Dahmani

 

Les villes moyennes françaises, longtemps reléguées à l’ombre des grandes métropoles, sont aujourd’hui à un tournant décisif. Pendant des décennies, elles ont incarné la France industrielle, prospère, avant de subir de plein fouet la désindustrialisation. Ces villes, autrefois foyers de dynamisme économique, sont aujourd’hui souvent synonymes de fermeture d’usines, de chômage endémique et de départ des jeunes. Cependant, certaines de ces villes refusent de sombrer dans le déclin, et parmi elles, Saint-Étienne, la « cité noire », tire son épingle du jeu en réinventant son avenir à travers une reconversion audacieuse. L’exemple stéphanois est-il un modèle à suivre pour l’ensemble des villes moyennes ? C’est ce que nous allons examiner.

 

Saint-Étienne : des cendres industrielles à l’élan du design

Située dans le département de la Loire, Saint-Étienne est une ville qui incarne, à elle seule, la grandeur et la décadence de l’industrie française. Fief du charbon, de la métallurgie et du textile, la ville a prospéré durant le XIXe et la première moitié du XXe siècle. Ses mines et ses usines lui ont valu le surnom de « Manchester français ». Pourtant, comme tant d’autres, elle a été violemment frappée par la désindustrialisation à partir des années 1970. Fermetures d’usines, chômage massif, exode des jeunes : Saint-Étienne a rapidement glissé dans une spirale infernale. La ville s’est retrouvée, dans les années 1980, avec l’un des taux de chômage les plus élevés de France.

Face à ce désastre économique, la ville aurait pu, comme tant d’autres, sombrer dans le déclin. Pourtant, c’est à ce moment que les dirigeants locaux ont fait un pari risqué : celui de la culture et de l’innovation. Plutôt que de se résigner à un rôle de vestige industriel, Saint-Étienne a cherché à se réinventer en se positionnant sur une industrie plus moderne, plus créative : le design. Ce virage n’était pas évident pour une ville historiquement ouvrière, mais il a été amorcé dès le début des années 2000 avec la création de la Cité du Design, un centre dédié à la promotion et à la recherche en design.

En 2005, Saint-Étienne obtient un label prestigieux, celui de « Ville Unesco de Design », rejoignant ainsi un réseau international de villes créatives. C’est un tournant majeur dans l’histoire de la ville. Ce label permet de repositionner Saint-Étienne sur la carte, non plus comme une ville en déclin, mais comme une métropole en pleine transformation, capable d’attirer des talents internationaux, des créateurs et des entreprises innovantes.

 

Les actions concrètes : un écosystème de la création

Le succès de Saint-Étienne ne repose pas uniquement sur des slogans ou des labels prestigieux. Il s’appuie sur une série d’initiatives concrètes qui ont permis de transformer en profondeur le tissu économique et social de la ville. La Cité du Design, installée sur les ruines d’une ancienne manufacture d’armes, symbolise cette reconversion. Ce site de 11 hectares, qui abrite également l’École Supérieure d’Art et de Design (ESADSE), est devenu un pôle d’attraction pour des événements internationaux comme la Biennale Internationale du Design, une manifestation qui attire des dizaines de milliers de visiteurs et fait rayonner la ville à l’échelle mondiale.

L’investissement dans la formation a été crucial pour ce renouveau. L’ESADSE, avec son programme axé sur l’innovation, attire des étudiants et des enseignants du monde entier. La ville a misé sur la création d’un écosystème de l’innovation, en développant des partenariats entre designers, chercheurs, et entreprises locales. De nombreuses start-ups spécialisées dans les nouvelles technologies, les matériaux ou encore le design industriel se sont implantées dans la ville, créant de nouveaux emplois et insufflant une dynamique économique.

Le développement de pépinières d’entreprises comme le Mixeur, situé au cœur de la Cité du Design, permet de soutenir l’émergence de jeunes talents et de favoriser l’entrepreneuriat local. Des entreprises internationales ont également été attirées par cet environnement propice à l’innovation. L’installation de la chaire de design public et d’initiatives de coworking participe à ancrer durablement Saint-Étienne comme un territoire d’expérimentation.

 

La reconquête urbaine : redynamisation du centre-ville et des infrastructures

Le renouveau économique de Saint-Étienne ne s’est pas limité aux secteurs du design et de l’innovation. La ville a également investi massivement dans la rénovation urbaine pour redonner vie à des quartiers autrefois désertés. L’un des projets phares a été la transformation du quartier Manufacture-Plaine-Achille, un ancien site industriel qui a été reconverti en pôle culturel et créatif. Outre la Cité du Design, on y trouve aujourd’hui des équipements culturels, des espaces verts, et des logements modernes, qui attirent de nouvelles populations.

Les pouvoirs publics ont également mis en place une politique ambitieuse de rénovation du centre-ville. Ce dernier, autrefois déserté par les commerces et les habitants, retrouve aujourd’hui une nouvelle dynamique grâce à l’ouverture de galeries d’art, de boutiques de créateurs, et de lieux culturels. La ville a par ailleurs fortement investi dans le réseau de transports en commun, avec la modernisation du tramway et des pistes cyclables, rendant ainsi la ville plus attractive pour les jeunes actifs et les familles.

 

Saint-Étienne, un modèle pour les autres villes moyennes ?

L’histoire de Saint-Étienne est sans aucun doute inspirante. Mais peut-elle être répliquée ailleurs ? La réponse est à la fois oui et non. Oui, parce que l’exemple stéphanois montre qu’il est possible, avec une volonté politique forte, de transformer une ville en déclin en une métropole créative et dynamique. Les autres villes moyennes françaises pourraient s’inspirer de cette stratégie, en s’appuyant sur leurs atouts locaux pour attirer de nouveaux talents et redynamiser leur économie.

Cependant, il serait naïf de croire que toutes les villes moyennes peuvent suivre ce chemin sans effort. Saint-Étienne a bénéficié d’un positionnement géographique favorable, à proximité de Lyon, et d’un écosystème universitaire et culturel déjà en place. La transformation a été rendue possible grâce à un investissement massif dans les infrastructures et à des partenariats entre acteurs publics et privés. D’autres villes, notamment celles plus éloignées des grandes métropoles, ne disposent pas de ces avantages et devront trouver leur propre voie.

Prenons l’exemple de villes comme Charleville-Mézières ou Roubaix. Ces villes, qui ont également souffert de la désindustrialisation, tentent de se réinventer à travers des projets culturels ou des initiatives locales. Cependant, elles peinent à atteindre l’impact international de Saint-Étienne, faute de moyens financiers et d’un réseau d’influence suffisant. Le manque de soutien de l’État et des régions constitue un obstacle majeur à leur renaissance.

 

Une France des villes moyennes à deux vitesses ?

Le renouveau de Saint-Étienne est un symbole fort. Il montre que les villes moyennes ne sont pas condamnées au déclin et que des initiatives ambitieuses peuvent transformer leur destin. Toutefois, l’avenir des villes moyennes françaises reste incertain. D’un côté, il y a celles qui, comme Saint-Étienne, parviennent à se réinventer en misant sur la culture, l’innovation et le dynamisme local. De l’autre, il y a celles qui continuent de s’enfoncer dans une spirale de désertification, victimes d’un désengagement progressif de l’État et des grandes entreprises.

Le risque d’une France à deux vitesses, avec d’un côté les métropoles flamboyantes et de l’autre les villes moyennes en déclin, est bien réel. Si l’État ne prend pas rapidement conscience de l’urgence, c’est la cohésion même de notre territoire qui est en jeu. Il est impératif de redonner aux villes moyennes les moyens de se réinventer, en soutenant des initiatives locales, en investissant dans les infrastructures et en favorisant la réindustrialisation. Sans cela, l’exemple de Saint-Étienne restera une exception plutôt qu’un modèle pour l’avenir des villes moyennes françaises.

 

Sofiane Dahmani, Chroniqueur