Depuis plusieurs décennies, nos campagnes se meurent dans un silence assourdissant, abandonnées par des politiques incapables d’en saisir la richesse et l’importance stratégique. Mais parmi tous les services qui se raréfient, un s’effondre plus vite que les autres : le transport public.
Ce service essentiel, garant de la mobilité et de la liberté d’une partie non négligeable de la population, est en voie de disparition dans nos territoires ruraux. Le cas de la Lozère, département le plus faiblement peuplé de France, est emblématique de cette crise. Dans cette France des confins, le bus devient un mirage, un souvenir lointain, laissant des centaines de villages sans solution pour rejoindre les centres urbains.
L’effondrement des transports publics ruraux : une mort annoncée
Le désastre des transports en commun en milieu rural n’est pas un phénomène récent. Depuis les années 1970, les gouvernements successifs ont encouragé, voire favorisé, l’étalement urbain, l’essor de l’automobile et la désertification des campagnes. Résultat : dans les années 2020, les zones rurales sont confrontées à une pénurie criante de services publics de transport. Les lignes de bus ferment les unes après les autres, faute de rentabilité et de volonté politique. L’État, sourd aux revendications des territoires ruraux, préfère injecter des millions dans des projets pharaoniques pour les métropoles, abandonnant ainsi la « France périphérique » à son sort.
Prenons le cas de la Lozère. Ce département, au cœur du Massif central, est connu pour sa faible densité de population et son isolement géographique. Il s’étend sur plus de 5 000 km², mais ne compte que 76 000 habitants, soit à peine 15 habitants par kilomètre carré. Autant dire que pour les services de transport, la rentabilité économique est un concept abstrait. Les autorités locales sont incapables de maintenir un réseau de bus cohérent face aux contraintes budgétaires. Depuis quelques années, plusieurs lignes de bus ont été supprimées, privant des villages entiers de toute connexion avec les centres économiques et administratifs.
À titre d’exemple, la ligne reliant le village de Chanac à Mende, préfecture de la Lozère, a vu ses fréquences diminuer drastiquement, passant d’un bus quotidien à une liaison hebdomadaire. Les villages situés le long de cette ligne sont désormais coupés du monde, à moins de posséder un véhicule personnel. Et c’est là tout le drame de ces zones : la dépendance à la voiture est devenue une nécessité absolue. Mais qu’en est-il de ceux qui ne peuvent pas conduire, comme les personnes âgées ou les jeunes sans permis ?
La dépendance à la voiture : une fracture sociale
En Lozère, comme dans de nombreux autres départements ruraux, la voiture est reine. Si vous n’avez pas de véhicule, vous êtes tout simplement immobilisé. Or, cette dépendance à l’automobile crée une fracture sociale majeure. Les personnes âgées, qui sont nombreuses en Lozère, se retrouvent prisonnières de leur isolement. À mesure que leurs capacités physiques déclinent, leur autonomie diminue, les empêchant de se rendre chez le médecin, de faire leurs courses ou tout simplement de participer à la vie sociale. C’est une forme d’enfermement moderne, rendu encore plus cruel par le désengagement des pouvoirs publics.
Pour les jeunes, la situation est tout aussi désastreuse. En Lozère, comme dans d’autres zones rurales, il n’est pas rare que des adolescents ou des jeunes adultes soient incapables de suivre une formation ou de trouver un emploi faute de moyens de transport. Ne pas avoir de permis de conduire à 18 ans en zone rurale, c’est se condamner à l’inactivité et à la marginalisation. Comment trouver un emploi ou suivre des études si le premier centre de formation se trouve à 30 kilomètres et que la seule solution est de compter sur ses parents ou de dépenser des sommes folles en carburant ?
Le comble de l’ironie, c’est que les mêmes décideurs qui plaident pour la transition écologique dans les grandes villes, prônant le vélo et la marche, ne lèvent pas le petit doigt pour offrir une alternative durable aux ruraux. En réalité, l’écologie, pour ces technocrates, s’arrête là où commence la France des champs. On veut réduire les émissions de CO2 dans les métropoles, mais on oblige les ruraux à prendre la voiture pour le moindre déplacement. Les grandes déclarations sur le climat se fracassent contre le mur de la réalité rurale.
L’auto-stop et les alternatives : le désespoir organisé
Face à ce désastre, des solutions alternatives émergent. Parmi elles, une pratique ancestrale reprend du poil de la bête : l’auto-stop. En Lozère, certains villages, comme à Nasbinals, ont décidé de formaliser cette pratique en créant des « spots » d’auto-stop. Ce projet, intitulé « Rézo Pouce », propose des points de rencontre sécurisés où les automobilistes peuvent prendre des passagers, de manière spontanée et gratuite. Si cette initiative permet de créer du lien social et de pallier, en partie, le manque de transport, elle ne constitue en rien une solution pérenne. L’auto-stop ne devrait pas être la norme dans une société moderne. C’est la preuve d’un échec criant des autorités publiques à assurer un service de base.
Le projet « Rézo Pouce », qui se déploie en Lozère, repose sur le bénévolat et la bonne volonté des habitants. C’est un retour aux valeurs d’entraide et de solidarité, certes, mais cela ne peut compenser l’absence d’une politique ambitieuse en matière de transport public. Combien de temps les jeunes Lozériens devront-ils tendre le pouce pour espérer rejoindre leur lycée ou leur lieu de travail ? Combien de personnes âgées devront dépendre du bon vouloir d’un voisin motorisé pour se rendre chez le médecin ?
Au-delà de l’auto-stop, certaines communes lozériennes ont tenté d’innover avec des services de transport à la demande. Ces initiatives, bien qu’encourageantes, restent marginales et ne couvrent qu’une partie du territoire. Le transport à la demande, par nature, est limité par les distances et le coût qu’il engendre. En Lozère, le réseau de transport à la demande se heurte à ces réalités économiques : le coût du service est souvent trop élevé pour les usagers et les municipalités peinent à le subventionner.
La fracture territoriale et l’inaction de l’État
La suppression des services de transport en milieu rural n’est que le reflet d’une fracture territoriale plus large. Cette France des villages et des bourgs est laissée-pour-compte, sacrifiée sur l’autel de la rentabilité économique. Les grandes métropoles concentrent l’essentiel des investissements publics, tandis que les zones rurales sont réduites à des zones d’ombre. En Lozère, ce sentiment d’abandon est palpable. Les habitants assistent, impuissants, à la fermeture des lignes de bus, des gares, des écoles. Les services publics disparaissent les uns après les autres, et avec eux, c’est l’âme des villages qui s’éteint.
L’État, dans son aveuglement technocratique, continue de considérer les campagnes comme des territoires secondaires, destinés à n’être que des zones de résidence pour une population vieillissante. Les jeunes sont encouragés à partir vers les grandes villes, là où se concentrent les emplois, les services, et les opportunités. Mais que reste-t-il pour ceux qui souhaitent rester ou revenir en Lozère ? L’absence de transport public est un véritable frein à toute dynamique de redynamisation des campagnes.
Les politiques d’aménagement du territoire prônées par les gouvernements successifs sont un échec patent. Le concept d’égalité des territoires est une chimère. Les zones rurales sont condamnées à vivre sous perfusion, dépendantes de l’automobile et de la bonne volonté de quelques bénévoles pour maintenir un semblant de mobilité. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la population lozérienne continue de décroître. Sans accès à un réseau de transport public efficace, comment espérer attirer de nouveaux habitants ou retenir ceux qui y vivent encore ?
Quelle solution pour l’avenir ?
Pourtant, tout n’est pas perdu. Il existe des solutions pour revitaliser les transports publics en milieu rural, mais elles nécessitent une véritable volonté politique et une réorientation des priorités. La Lozère pourrait servir de laboratoire pour repenser le modèle du transport en zone rurale. Il ne s’agit pas de copier-coller les modèles urbains, mais de créer des solutions adaptées aux spécificités des territoires.
Premièrement, il faut redéployer un réseau de bus adapté aux réalités démographiques. Cela signifie des lignes moins fréquentes mais régulières, qui permettent aux habitants de se rendre dans les centres économiques et administratifs sans avoir à utiliser leur voiture. Deuxièmement, il est nécessaire de renforcer les services de transport à la demande, en les rendant plus accessibles financièrement et en les intégrant dans une logique de service public, et non plus comme une option de dernier recours.
Enfin, la solution passe par une réappropriation locale de ces services. Les habitants des territoires ruraux, comme en Lozère, sont souvent les mieux placés pour définir leurs besoins. La création de coopératives de transport, soutenues par les pouvoirs publics, pourrait être une piste intéressante pour redonner vie aux réseaux de transport.