La démocratie américaine repose sur quatre références historiques majeures : l’esprit de liberté, (plus que jamais viscéralement ancré dans la mentalité US), l’esprit d’égalité (sévèrement remit en question dans les faits au cours des décennies) l’esprit d’association (« Vae Soli, voilà la grande malédiction en Amérique), et l’esprit de religiosité. Le moins que l’on puisse écrire, c’est, plus de deux siècles après l’Indépendance, c’est que ce dernier, au-delà de certains aléas, continue de jouer un rôle primordial, tant dans la géopolitique interne des Etats Unis, que dans les orientations clefs de sa politique étrangère !
Souvenons-nous :
L’austérité, la religiosité, le puritanisme des Pionniers se sont largement épanouis au cours des siècles ;
« C’est pour la gloire de Dieu et, ‘essor de la Foi chrétienne que nous avons entrepris d’établir la première colonie sur ces rivages reculés » déclaraient les Pèlerins du Mayflower à leur arrivée dans le Nouveau Monde » Et il n’est pas d’acte officiel depuis cette époque voire de jugements qui ne soient accomplis « sans l’assistance du Seigneur ». God Bless America ! In God we trust ».
La prière du matin est incontournable à la Maison-Blanche et, depuis des décennies, le montant des quêtes hebdomadaires est officiellement répertorié dans les budgets-type méticuleusement élaborés par les experts des Services fédéraux.
Cet esprit de religiosité s’accompagnait d’une intolérance extrême jusqu’au siècle dernier. Selon le Code du Massachusetts, « l’amende et le fouet répriment l’ivrognerie et le simple mensonge ». Les pasteurs tonneront pendant des lustres « contre la cigarette, le billard et la danse ». Rien d’étonnant alors que le 16 janvier 1920, le Congrès refuse simultanément d’abroger le Second Amendement à la Constitution (celui qui concerne le port d’armes) et adopte le XVIIIème, instaurant la prohibition sur tout le territoire fédéral.
« Seront prohibés la fabrication, la vente et le transport des boissons alcoolisées à l’intérieur du territoire des Etats-Unis et de tous les territoires sous leur juridiction ainsi que les importations desdites boissons dans ces territoires ou leur exportation hors de ces territoires ».
On connait les conséquences catastrophiques engendrées par l’amendement en question, l’ampleur des trafics illicites
Trafics illicites, l’épanouissement des structures mafieuses et les sanglantes guerres des gangs, avant qu’il ne soit abrogé sous Franklin D Roosevelt.
Rien ne va changer aujourd’hui quant à la pratique religieuse et ses effets sociétaux à tous les sens du terme. Elle semble même avoir tendance à s’accroitre au fil des ans. Au tout dernier recensement, 92% de la population (dont 54% de protestants, et 21% de Catholiques) se déclaraient croyants et 72% pratiquants. Comme le soulignait naguère Raymond Bourdon, « l’exception religieuse américaine va à l’encontre de la loi évolutive élaborée et traitée par Auguste Comte, Durkheim et Weber ».
Chaque discours d’intronisation des Présidents, chaque Message sur l’Etat de l’Union, délivré rituellement le troisième mercredi de janvier, sont particulièrement édifiants. Tous sont truffés de références religieuses, y compris avec Jo Biden. Quand Truman, en 1953, fait son discours d’adieu devant son successeur, le Général Eisenhower, il promet à Dieu à propos de la Guerre froide que « les Etats Unis vaincront pour Toi et pour Ta Gloire ». Et Ronald Reagan affirmait en 1981 : « Nous sommes une nation de Dieu et je crois viscéralement que Dieu nous a prédestinés à être libres », face à une Union Soviétique qu’il qualifiait de… démon !
Dans un tel contexte, l’univers américain c’est une multitude d‘églises épiscopaliennes, pentecôtistes, baptistes, luthériennes, congrégationnistes, Mormons, Témoins de Jéhovah, évangélistes Amish ou Quakers… Eglises rivalisant depuis quelques décennies dans une course effrénée au recrutement d’adeptes et (peut-être ?) aux ressources financières, grâce notamment au « télé évangélisme ».
Mais le fait le plus patent en la matière, depuis une bonne génération, parait concerner l’essor du « fondamentalisme » cher à George.W.Bush, voire à Donald Trump.
Le fondamentalisme s’illustre par quelques thèmes majeurs : la conversion des fidèles (les « born again », des individus affirmant avoir physiquement rencontré le Christ), une lecture et une interprétation exclusivement littérales de la Bible, la foi dans le « créationnisme », la condamnation sans réserve du darwinisme et de ses suppôts.
Détails de l’Histoire de la démocratie américaine ou tendance lourde de la géopolitique des Etats Unis contemporains ? Nous penchons pour la seconde hypothèse.
Un fait demeure : la première décennie du siècle actuel avait vu arriver à la Maison-Blanche, un fondamentaliste. George W Bush était un « born again ». Son élection fut certes sujet à de vives polémiques, suite au recomptage âprement discuté des voix des électeurs en Floride, sous la houlette du gouverneur, Jeb Bush… propre frère du candidat. Un résultat confirmé en définitive par la Cour Suprême par cinq voix contre quatre !
Un George W Bush qui viole délibérément la règle implicite du pluralisme religieux dans son discours d’investiture en concluant ce dernier, non par le rituel « Au nom de Dieu » mais par un « au nom de Jésus » hautement significatif.
Un célèbre avocat new-yorkais rappelait il y a quelques mois, avant l’élection de Joe Biden et les évènements du Capitole : « les silhouettes des Pilgrim Fathers réapparaissent régulièrement sur la scène du grand théâtre de la démocratie américaine et, avec elles, les ombres plus tragiques encore des sorcières de Salem »
Ceci étant, définitive, en 2023, force est de constater, dans cette atmosphère de religiosité, que l’objectif permanent revendiqué des locataires de la Maison-Blanche, qu’ils soient Démocrates et Républicains est clair.
Certes, ne soyons pas naïfs ! Les intérêts stratégiques et surtout économiques, occupent naturellement le premier rang des motivations des Etas-Unis en matière de politique étrangère, comme toute grande puissance. Mais cela reste loin d’être incompatible avec un credo inoxydable à travers les générations de présidents : les Etats-Unis, bénis de Dieu, bénéficiaires et parés de toutes les vertus démocratiques qui lui ont été accordées, doivent assumer un devoir capital, justifiant des initiatives un tantinet impérialistes à travers le monde : « implanter à l’échelle de la planète les bienfaits de la Destinée Manifeste » !