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07H55 - vendredi 11 octobre 2024

Suède – France : un couple au service de la coopération européenne. L’analyse de Sean Scull de SKEMA Publika

 

En janvier 2024, le président Emmanuel Macron a effectué la première visite d’Etat en Suède depuis Jacques Chirac. Bien que peu connus par la majorité des Français, il existe de nombreux liens, économiques, culturels et historiques entre la France et la Suède. Dans un monde en restructuration, ces affinités peuvent s’avérer stratégiques pour renforcer les liens interétatiques mais également relancer la coopération européenne.

 

Des liens historiques et culturels forts

On qualifie la relation franco-suédoise « d’amitié millénaire ». Elle remonte au XIIIème  siècle lorsque l’architecte français Estienne de Bonneuil participe à l’édification de la cathédrale d’Uppsala. Un autre exemple est celui du roi Gustave III, grand francophile, qui fonde l’Académie suédoise en 1786 sur le modèle de l’Académie française.

Dans le cadre de la visite d’Emmanuel Macron début 2024, la famille royale a rappelé sur son site Internet que les relations entre les deux pays sont anciennes, plurielles et excellentes. Une famille royale, dont l’actuel souverain est Charles XVI Gustave de Suède, qui ressent de l’affection particulière pour la France, puisque c’est le pays de son ancêtre, le maréchal napoléonien natif de Pau, Jean-Baptiste Bernadotte. En 1818, ce dernier est devenu roi de Suède sous le nom de Charles XIV Jean.

Du côté de l’Hexagone, il existe une fascination pour le modèle social et économique suédois. L’égalité homme-femme, l’Etat-providence, le taux d’emploi, le niveau de vie élevé, les services publics et le système de retraite sont régulièrement cités comme des modèles.

La fascination est réciproque, les Suédois se passionnent pour l’histoire, la langue et la culture française. C’est notamment à Paris, depuis 1971, que l’on trouve l’unique antenne internationale de Svenska Institutet (l’Institut suédois), dont l’objectif est de veiller au lien culturel franco-suédois.

 

Des intérêts actuels convergents

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne a vécu une prise de conscience collective sur le besoin de se renforcer géopolitiquement. La Suède, bien que traditionnellement non acquise à Bruxelles, se montre plutôt favorable à l’approche française d’une Europe souveraine. Le royaume a rejoint la coopération européenne tard, en 1995, et n’a pas adopté l’euro lors de son referendum de 2003.

Mais la guerre en Ukraine a réactivé la peur du grand voisin russe : en suédois, on parle de rysskräck. En 2023, une étude menée par Sofie Blombäck et Thomas Karv auprès du SOM Institute de l’Université de Göteborg, montre que la perception de l’UE par les Suédois a évolué positivement. C’est l’effet rally around the EU flag.

Le 12 octobre 2023, le Premier ministre Ulf Kristersson affirmait que l’UE est la principale plateforme de politique étrangère de la Suède, puisqu’elle permet au royaume de défendre ses intérêts nationaux au niveau mondial.

Un réel potentiel de développement existe également sur le plan économique. La France est la 9ème partenaire de la Suède dans les échanges de biens. L’Hexagone est le pays européen qui attire le plus d’investissements directs suédois, 70 000 suédois travaillent dans des entreprises françaises, les technologies du numérique et la finance sont des puissants secteurs dans les deux pays.

La coopération économique entre les deux pays peut permettre de mutuellement renforcer leur compétitivité dans des secteurs stratégiques où l’UE doit affirmer son autonomie. L’industrie spatiale en est un exemple. La Suède et la France sont les seuls pays européens capables d’envoyer des satellites dans l’espace depuis leur sol, avec la base française en Guyane et la suédoise à Kiruna en Laponie. L’industrie de défense est un autre domaine dans lequel la France et la Suède développent des partenariats. La Suède est dotée d’une industrie de défense puissante et est la 13ème dans le classement des producteurs d’armes au monde. Pour être capable de maintenir 200 ans de politique de non-alliance, la Suède avait besoin de se doter d’une industrie d’armement afin d’assurer sa propre sécurité.

 

Une coopération politique à approfondir

Les deux pays ont tout intérêt à approfondir leur coopération politique. Il existe en Europe une division entre les pays du Nord et du Sud. Une Europe du Nord plutôt libérale composée des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède et de l’Autriche, également connus sous le nom du groupe « des quatre austères ». Leur vision de l’Europe tend à être plus libérale sur le plan économique.

A l’inverse l’Europe du Sud est plus étatiste, elle se compose de la France, de l’Italie, de la Grèce, du Portugal, de Chypre et de l’Espagne. La Suède, pourrait se concerter avec la France et la soutenir dans des négociations au niveau européen. Surtout lorsqu’il s’agit de convaincre les pays du Nord et les plus « petits » pays.

En effet, les « petits » pays d’Europe sont souvent sceptiques vis-à-vis du leadership français, qu’ils perçoivent par moments comme contraignant. En retour la France peut soutenir et aider à faire entendre la position de la Suède auprès des pays du Sud et des « grands » pays de l’Union. Les différences structurelles entre les deux pays doivent être perçues comme une force et non une faiblesse.

Au-delà du principe même d’une coopération, le calendrier actuel est favorable à un rapprochement. D’abord, la Suède vient de rejoindre l’OTAN pour avoir une garantie de sécurité face au voisin russe. Toutefois, le pays est réaliste et conscient que le soutien américain est incertain, menant Stockholm à promouvoir une Europe forte et surtout autonome en matière de défense. Ce qui mène naturellement à un partenariat plus étroit avec la France.

De plus, depuis le Brexit, la Suède est à la recherche d’un nouveau partenaire au sein de l’UE : le royaume entretenait une relation étroite avec Londres, avec qui il partageait des positions communes en matière de libre-échange. La Suède pourrait être le troisième partenaire dans un couple franco-allemand en perte de vitesse. En plus d’être francophiles, les Suédois sont également germanophiles. Faire entrer un troisième partenaire permettrait de diversifier et relancer une coopération européenne qui patine.

Il s’agit surtout d’une occasion à ne pas manquer. En effet, le calendrier et la conjoncture des événements sont en faveur d’une coopération étroite. Les conséquences du Brexit, le déclin allemand, les élections américaines et la guerre en Ukraine, jouent en faveur de la mise en place d’un couple franco-suédois. Il est stratégiquement important de l’exploiter dans le cadre du développement d’une Europe autonome.

 

Sean Scull

Franco-suédois, il est chargé de projets au think tank SKEMA Publika. Cet article fait suite à la publication de sa note, Un couple franco-suédois au service de la coopération européenne.