Rarement loi de Finances aura été écrite dans un pareil climat de tension politique : après le rejet samedi 19 octobre par la commission des finances d’un texte fortement réécrit par la gauche, l’examen de la partie recettes commence ce soir.
Sur fond de cacophonie, de discordes parlementaires profondes ou encore de menaces de démission au sein même du gouvernement en charge de sa préparation, le bouclage du budget de 2025 donne un épouvantable mal de crâne… invitant presque à prendre plusieurs Dolipranes d’affilée – si possible produits en France.
Mais comment se fait-il que la copie ainsi déposée par Michel Barnier et ses équipes suscite à ce point une réaction de rejet, y compris de sa propre majorité, quelques jours seulement après son examen en première lecture par la commission des finances de l’Assemblée nationale mercredi 16 octobre dernier ?
Pour une raison aussi simple qu’inavouable : parce que le compte n’y est pas et que les hypothèses présentées jusqu’ici par le gouvernement pour ramener le déficit public à 5% du PIB apparaissent non seulement peu crédibles mais aussi marquées par une stupéfiante volatilité.
Première critique assez difficilement attaquable : l’hypothèse de croissance retenue jusqu’à présent dans le projet de loi de Finances pour l’an prochain (1,1% hors inflation) apparaît d’autant moins vérifiable qu’en relevant nettement la pression fiscale sur les entreprises et les particuliers, le texte initial pourrait avoir un effet dépressif significatif sur la croissance. De quoi ramener celle-ci plutôt autour de 0,6 ou 0,7% si l’on suit la prévision du Haut Conseil des finances publiques.
Fait aggravant : alors que tous les économistes ont martelé depuis plusieurs semaines que le mal budgétaire français provenait de l’appétit public pour la dépense, la copie budgétaire actuellement soutenue par l’exécutif présente un équilibre à la fois incertain et très insatisfaisant s’agissant des efforts respectifs sous forme d’augmentation des impôts et de baisse des dépenses. Le Premier ministre se targue pourtant de présenter un équilibre contributif reposant pour deux tiers environ sur la dépense publique, qui serait amputée de 40 milliards, et pour le tiers restant sur une élévation des prélèvements obligatoires (+ 20 milliards). Sauf qu’aucun parlementaire ou presque, de droite comme de gauche, n’y croit vraiment. À ce stade, autant les hausses d’impôts sont visibles, et pourraient même représenter au bout du compte jusqu’à 70% de l’effort de réduction du désajustement budgétaire, autant les efforts pour baisser la dépense publique restent limités, voire mal calibrés. Ainsi, le gouvernement prévoit-il sans sourciller d’infliger un rabot de -5 milliards d’euros très punitif aux collectivités locales alors que leur endettement est très soutenable et, surtout, principalement utilisé de façon vertueuse pour investir. Contrairement à ce qui se passe dans l’État…
Si encore les équipes de Bercy parvenaient à lever les recettes fiscales déjà annoncées, l’honneur budgétaire serait sauf après un dérapage des comptes en 2024 qui fait toujours gloser, mais ce n’est probablement pas le chemin qui sera pris. Car des doutes importants persistent sur la capacité du gouvernement à faire entrer plus de 8 milliards de taxe exceptionnelle sur les grandes entreprises l’année prochaine, alors que le patronat fait entendre sa voix et que les marges des sociétés se contractent. Et c’est la même histoire avec la taxe exceptionnelle sur les hauts revenus, qui crée beaucoup de scepticisme sur l’objectif de lever 2 milliards d’euros dans ce cadre alors que le nombre de bénéficiaires annoncé a fondu comme neige au soleil, pour passer de 65 000 foyers fiscaux au départ à seulement 24 300 depuis les dernières annonces du samedi 12 octobre dernier. Au point qu’on s’interroge déjà sur un éventuel allongement supplémentaire de la liste des pistes, déjà longue (avec la hausse de la fiscalité sur l’énergie de 3 milliards, la taxe sur les rachats d’actions pour 200 millions d’euros ou encore l’alourdissement du malus sur les voitures neuves à essence et diesel pour 300 millions) que le gouvernement pourrait être tenté de décider pour compenser un manque à gagner prévisible sur les augmentations fiscales les plus lourdes déjà présentées…
À quoi faut-il s’attendre dans les prochains jours alors que près de 1 800 amendements avaient déjà été déposés en milieu de semaine dernière sur la première partie du texte concernant les recettes ?
D’abord à une charge de plus en plus sonore de ceux qui rappellent que la bonne réponse au déficit excessif passe par des efforts bien plus larges en termes de diminution des dépenses. Ce qui pourrait raviver le thème de la baisse des effectifs publics, à la fois sensible mais inéluctable si on entend réduire structurellement la charge de l’État et des collectivités.
Sur le terrain fiscal, la discussion devrait être également vive entre un Nouveau Front Populaire (NFP) qui ne manquera pas de se faire l’avocat d’une justice fiscale au nom de laquelle on pourrait justifier un élargissement de la taxe sur les rachats d’action, une taxation des superdividendes, voire un élargissement de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), et des forces plus libérales, renouvelant le credo d’un impôt confiscatoire dans un pays déjà champion d’Europe des prélèvements obligatoires.
Dans un tel environnement volcanique, c’est l’esprit de responsabilité et de lucidité qui devra primer. Car les décisions prises ne devront pas brider la croissance future, au risque de grignoter l’assiette fiscale sur laquelle le gouvernement et les administrations comptent bien se servir pour garantir les futures recettes publiques. Mais elles ne devront pas davantage faire l’économie d’une exploration de toutes les solutions possibles pour réduire la charge de l’État, notamment en s’attaquant aux dépenses fiscales les plus onéreuses pour la puissance publique : crédit d’impôt recherche, apprentissage, pacte Dutreil (sur les droits de donation et de succession), aides aux services à domicile.
Faudra-t-il aller jusqu’à se séparer des « bijoux de famille » ?
Le ministre du budget, Laurent Saint-Martin, n’écartait pas dimanche 20 octobre, l’hypothèse d’une cession de quelque 10% des parts de l’État dans des sociétés cotées pour éponger la dette. Ce qui représenterait environ 18 milliards, soit plus du double de la hausse controversée de l’impôt sur les sociétés actuellement examinée au Parlement.
François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)