Le sommet des BRICS qui s’est tenu à Kazan, en Russie, la semaine dernière, marque sans doute un tournant dans les relations internationales.
Pour Vladimir Poutine, le simple fait de réunir autour de lui des puissances comme l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud, malgré l’isolement diplomatique que l’Occident tente de lui imposer depuis l’invasion de l’Ukraine, constitue une victoire.
La participation personnelle d’António Guterres, Secrétaire général des Nations unies, alors même que la Russie viole allègrement la Charte des Nations unies en ayant envahi l’Ukraine, constitue un tragique pied de nez du dictateur russe à la communauté internationale. Elle décrédibilise au passage les Nations unies dont on savait déjà ô combien ce machin ne sert plus à grand-chose.
Mais au-delà de la photo de « famille », le dictateur russe n’a pas réussi à solidifier un front du Sud global uni face à un Nord occidental jugé dominateur et paternaliste.
Les neuf membres des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Égypte, Émirats arabes unis et Éthiopie) sont en fait écartelés entre leur histoire souvent coloniale avec l’Europe et leur posture de pays émergents devenus de véritables puissances internationales.
Le front de Kazan devait devenir le fer de lance d’une opposition systématique à l’Occident, et une alternative réelle pour le reste du monde. Cependant, si l’alliance semble forte en apparence, les intérêts de ses membres restent profondément divergents.
La Russie et la Chine, certes, semblent partager cette vision d’un Sud global soudé contre le Nord. Mais l’Inde, puissance économique et stratégique du groupe, garde ses distances. New Delhi refuse de s’aligner systématiquement avec Moscou, comme en témoigne son jeu d’équilibriste entre les États-Unis et sa coopération économique avec la Russie. De même, le Brésil et l’Afrique du Sud adoptent des postures plus prudentes, souvent tiraillées entre les opportunités économiques offertes par le BRICS et les liens historiques qu’ils entretiennent avec les puissances occidentales.
Alors, les BRICS sont-ils réellement une réinvention du mouvement des non-alignés, une sorte de porte-voix pour ce qu’on appelle désormais le « Sud global » ? L’image est séduisante, mais elle masque des contradictions internes qui pourraient rapidement éroder cette alliance. Le mouvement des non-alignés, au temps de la Guerre froide, visait une troisième voie entre l’Est et l’Ouest, cherchant un équilibre géopolitique. Aujourd’hui, les BRICS réunissent des pays aux idéologies, aux économies et aux ambitions radicalement différentes, rendant difficile toute unité politique.
Le discours d’union contre un « Occident dominateur » trouve donc ses limites dans les réalités des stratégies nationales.
Mieux encore, les puissances occidentales comme la France, l’Allemagne, le Japon devraient pouvoir offrir une alternative au duel imposé Etats-Unis Versus Chine et Russie. Comme l’écrit Michel Duclos, géopolitologue, pour l’Institut Montaigne : « le temps viendra-t-il où les moyennes puissances du Sud comprendront l’opportunité pour elles de s’organiser en dehors des « grandes puissances de l’Est », la Chine et la Russie ? Ne peuvent-elles alors comprendre l’intérêt pour elles de se coaliser avec les moyennes puissances de l’Ouest, au premier rang desquelles l’Union européenne ? »
Les résultats concrets de ce sommet laissent un goût d’inachevé. Certes, des accords économiques ont été conclus, et les BRICS se montrent unanimes dans leur volonté de réformer les institutions internationales pour y gagner en influence. Mais les déclarations d’intention ne suffisent pas à constituer un bloc cohérent.
Kazan n’aura été qu’une démonstration de façade. Le rêve de Poutine d’un front du Sud global uni reste, pour l’instant, un mirage.
Michel Taube