Il y a 24 ans, en 2000, nous écrivions une « Lettre ouverte aux Américains pour l’abolition de la peine de mort », ouvrage qui déboucha sur la création de l’organisation Ensemble contre la peine de mort et de la Journée mondiale du même nom le 10 octobre de chaque année.
A l’époque, George W. Bush Junior, gouverneur du Texas, s’enorgueillissait d’avoir laissé exécuter 157 condamnés à mort dans les geôles de Floride. C’était une autre époque car même Donald Trump ne se réclamerait plus aujourd’hui de George Bush pour réclamer à tue-tête l’application de la peine capitale pour lutter contre la criminalité.
Car en 2024, si la peine de mort continue à être appliquée aux États-Unis, le nombre des condamnations à mort et des exécutions a fortement diminué, grâce notamment à l’action efficace du Barreau des avocats américains et des associations de familles de victimes (oui, je dis bien de familles de victimes).
La question de la peine de mort figure parmi les clivages marquants entre les candidats potentiels à la présidence américaine. Donald Trump, partisan de la peine capitale, voit en elle une réponse dissuasive et définitive aux crimes violents et liés au trafic de drogue. Kamala Harris, ancienne procureure de Californie devenue vice-présidente, a quant à elle un parcours et une position plus complexes. Alors que l’Amérique se prépare pour la prochaine élection présidentielle, la question de savoir si la peine de mort doit persister au niveau fédéral oppose ces deux figures politiques.
Donald Trump n’a jamais caché son soutien à la peine capitale. Lors de son mandat, il a réintroduit les exécutions fédérales après une pause de 17 ans, menant treize exécutions en seulement six mois, un chiffre sans précédent. Trump a défendu ces décisions en affirmant que la peine de mort permet de garantir justice pour les victimes de crimes particulièrement graves.
Pour Trump, la peine capitale s’inscrit également dans sa politique de lutte contre le trafic de drogue. Il a suggéré d’introduire la peine de mort pour les trafiquants responsables de crimes liés aux drogues, s’inspirant de certains pays d’Asie. Il considère cette mesure comme un moyen efficace pour dissuader les trafiquants et réduire les ravages des opioïdes et autres substances dans les communautés américaines. Sa position, cependant, a rencontré une forte opposition de la part de groupes de défense des droits humains, qui dénoncent les risques d’erreurs judiciaires, les disparités raciales, et l’inhumanité du procédé.
Harris et la peine de mort : entre pragmatisme et opposition
Le parcours de Kamala Harris en matière de justice est marqué par un certain pragmatisme, mais aussi par une prise de position évolutive. En tant que procureure de Californie, elle a envoyé de nombreux criminels en prison, mais elle a refusé de requérir la peine de mort dans les cas où elle était légalement possible, même pour les crimes graves. Cette décision, bien qu’impopulaire auprès de certains, était en ligne avec ses convictions profondes sur l’injustice et les dangers d’erreurs judiciaires liées à la peine capitale. Il faut dire que Madame Harris était plutôt en terrain favorable puisque la Californie n’a pas connu d’exécution depuis 2007, même, si plusieurs référendums ont échoué à obtenir son abolition totale.
Depuis son entrée en politique, et surtout en tant que vice-présidente, Harris a renforcé sa position abolitionniste. Elle s’est prononcée contre la peine de mort au niveau fédéral et pourrait, si elle accède à la présidence, envisager de s’engager pour une abolition totale de la peine capitale aux États-Unis.
Dans un pays où les États conservent une autonomie importante en matière de justice, cela pourrait constituer un virage historique et risqué, face à une partie de l’opinion publique encore favorable à la peine de mort.
La Cour suprême des États-Unis aurait également son mot à dire, elle qui est composée de juges ultra-conservateurs dont il ne faut pas attendre de positions très audacieuses sur le sujet.
La divergence entre Trump et Harris sur la peine de mort illustre deux visions opposées de la justice. Pour Trump, la fermeté et la dissuasion priment : il souhaite montrer que les crimes graves sont impardonnables et méritent des sanctions ultimes. Pour Harris, la peine de mort est une pratique inhumaine et faillible, incompatible avec les valeurs d’une justice équitable.
L’enjeu pour la France et les partenaires européens des Etats-Unis dans cette divergence n’est pas anodin. La peine de mort a été abolie en Europe sauf en Biélorussie et en Russie. Et l’Union européenne comme le Conseil de l’Europe sont fortement engagés dans le combat abolitionniste au niveau mondial.
Dans la course à la Maison-Blanche, la peine de mort est plus qu’un simple débat judiciaire ; elle reflète les choix de société que chaque candidat porte pour l’avenir des États-Unis.
Michel Taube