À la recherche d’un ordre mondial : le 7e Forum de Paris sur la paix se tiendra cette année, double innovation, au Palais de Chaillot le 11 novembre et le lendemain dans de nombreux lieux de savoir et d’échange de la capitale.
Petit joyau de la diplomatie française multilatérale, le Forum réunira des décideurs publics et privés, des entrepreneurs, des chercheurs, des associations, des leaders d’opinion du Nord et du Sud pour travailler sur les enjeux de gouvernance mondiale.
La gouvernance de l’intelligence artificielle, qui est en train de bouleverser le monde entier et d’accroître malheureusement les inégalités dans le monde, sera une des lignes directrices de cette édition du Forum.
À la tête de cet événement depuis sa création, Justin Vaïsse répond à Opinion Internationale sur les enjeux du Forum de Paris sur la Paix.
Justin Vaïsse, bonjour. Vous êtes le fondateur et le directeur général du Forum de Paris sur la Paix qui se tient les 11 et 12 novembre prochains dans la capitale française. Comment s’annonce cette 7ème édition ?
Justin Vaïsse : Elle s’annonce à la fois passionnante et utile. Pour la première fois, nous proposons un format en deux temps. Le premier jour, le 11 novembre, nous serons au Palais de Chaillot, un nouveau lieu pour nous, et un lieu chargé d’histoire, notamment en raison de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948. Et le lendemain, grande première, nous organisons 35 événements partout dans Paris : à l’INALCO, à Sciences Po, au Quai d’Orsay, dans des ambassades, des universités, etc.
Cette ouverture sur la ville exprime notre force collaborative et permettra d’approfondir des questions spécifiques dans des ateliers de travail. Par exemple, nous aborderons la gouvernance de l’intelligence artificielle, la gestion des minéraux critiques, ou encore les défis de l’agriculture et de la nutrition en Afrique.
Nous avons voulu structurer cette édition de manière à combiner des moments de réflexion publique avec des sessions plus techniques et spécialisées.
Quels sont les enjeux clés, les défis récurrents du Forum de Paris ? Et l’actualité brûlante (élections américaines, conflit au Proche-Orient et en Ukraine, Taïwan…) ne vient-elle pas se télescoper à l’agenda du forum ?
Nous faisons attention à ne pas nous laisser absorber par les tensions géopolitiques mais nous les aborderons, car les crises finissent toujours par impacter les discussions sur la gouvernance mondiale. Nous avons par exemple des panels sur l’Ukraine, le Proche-Orient, le Soudan, et l’impact des élections américaines sur l’ordre mondial.
Notre grande priorité, cette année, est la gouvernance de l’intelligence artificielle. Nous nous concentrons particulièrement sur les relations Nord-Sud en la matière, car l’un des grands enjeux est de s’assurer que les pays du Sud bénéficieront des avancées de l’IA au même titre que ceux du Nord. C’est un véritable défi, car pour le moment, la fracture numérique a tendance à se creuser plutôt qu’à se combler. L’’IA doit devenir un vecteur de développement pour les pays du Sud.
Nos travaux serviront en quelque sorte de séminaire préparatoire au Sommet pour l’action sur l’IA qui aura lieu début 2025 à Paris. Nous travaillerons aussi sur le bilan des engagements volontaires pris par des entreprises comme OpenAI, Google, Meta, et d’autres, pour réguler les avancées de l’IA de manière responsable.
Le Forum de Paris sur la Paix a-t-il obtenu des résultats concrets, un impact tangible sur les grandes décisions internationales ?
Notre obsession n’a jamais été d’obtenir des « big win » mais le Forum a contribué à de nombreux progrès dans de multiples domaines.
Nous avons, par exemple, contribué à l’Agenda de Bridgetown, qui vise à réformer les institutions financières internationales pour mieux intégrer les besoins des pays vulnérables.
Prenons aussi la question de la régulation des débris spatiaux. Pendant plusieurs années, nous avons organisé une coalition sur ce sujet, et aujourd’hui, il existe des initiatives comme le programme Net Zero Space de l’ESA qui s’inscrit dans cette dynamique, et a même repris le nom de notre coalition !
De même, nous avons lancé une commission sur le risque de dépassement climatique (Climate Overshoot Commission) et notamment la question du financement de l’Adaptation, qui sera indispensable, et celle des technologies de refroidissement climatique, qui a fait avancer le débat sur les défis de la géo-ingénierie solaire et de la capture du carbone. Ces discussions ont contribué à clarifier les enjeux et à mieux préparer la communauté internationale.
Qu’est-ce qui différencie le Forum de Paris sur la Paix des autres grands Forums internationaux, sachant que c’est vous qui en avez forgé et orchestré le concept avec vos équipes [lire notre portrait de Justin Vaïsse] ?
Notre spécificité, c’est notre focus sur la gouvernance des biens publics mondiaux, comme la santé, le climat, ou le cyberespace. Nous abordons des sujets qui relèvent de l’intérêt général et qui nécessitent des réponses collectives.
Contrairement à d’autres conférences axées sur la sécurité ou l’économie, nous mettons en avant une vision coopérative et multi-acteurs. Nous sommes également plus accessibles que certaines grandes conférences très exclusives. Cela permet de rassembler diverses voix, y compris celles de la société civile et des pays du Sud.
Peut-on dire que le Forum de Paris sur la Paix incarne une certaine idée de la France et de sa diplomatie ?
Oui, je crois que le Forum reflète une vision française de la diplomatie, basée sur le dialogue avec le Sud et la recherche de justice globale. C’est un espace où nous défendons la nécessité de mieux coordonner les efforts internationaux pour faire face aux défis de notre époque.
C’est là que nous revenons à l’actualité. Chaque année, nous démontrons que même dans un contexte de tensions géopolitiques, il est possible de travailler ensemble sur des questions de long terme. La paix, c’est aussi savoir anticiper et prévenir les crises en construisant des réponses communes.
C’est ce que nous essayons de faire au Forum de Paris sur la Paix, année après année.
Géorgia Sarre-Hector,
Chroniqueuse