La victoire de Donald Trump était à peine annoncée que déjà les analystes se sont demandé comment l’ex-président avait pu emporter le Michigan. La raison en est le revirement paradoxal de l’électorat arabe de cet État, au motif que Donald Trump ne pouvait être pire pour Gaza et le Liban que Kamala Harris ! Ici trois facteurs se conjuguent : 1. Le raisonnement des Arabo-américains, 2. Leur situation numérique et électorale, 3. Le stratagème du « vous n’avez rien à perdre avec moi » du candidat Trump.
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Donald Trump a pu les séduire en leur promettant de mettre rapidement fin à la guerre, sans plan particulier. Certes, il n’a pas renié son soutien à Israël et sa proximité à Benjamin Netanyahou.
C’est ainsi que le candidat républicain s’est rendu dans le Michigan pour une rencontre à huis clos avec des élus et imams et personnes influentes arabes et musulmanes. Car le candidat reste pragmatique : depuis son « Muslim Ban » de 2016-2017, c’est-à-dire l’interdiction d’entrée sur le territoire des ressortissants d’une douzaine de pays musulmans, il en est venu à abandonner ce thème en 2024. Lors de cette rencontre il alla jusqu’à s’excuser d’avoir autrefois stigmatisé les Yéménites américains.
C’est alors qu’a pu se dérouler l’étrange inversion de posture des Arabes américains. Ils ont évité de se retrouver dans une répétition du dilemme de 2003 lorsque George W. Bush lançait l’opération Iraqi Freedom : le programme de valeurs morales conservatrices sur la sexualité et la famille leur convenait, mais l’assaut sur l’Irak les choquait et ils ont partiellement migré vers les Démocrates sans pour autant leur en garantir la victoire. Cette fois-ci, le dilemme était pratiquement inverse, pour la simple raison que ce sont les Démocrates qui soutiennent la guerre israélienne.
Que l’électorat arabo-américain ait pu faire ce virage s’explique par un sentiment d’impuissance : l’administration Biden-Harris n’est pas parvenue à réfréner significativement les frappes israéliennes sur Gaza, et les velléités d’imposer des sanctions, un moment évoquées, s’est dissipé rapidement. Ces Arabes du Michigan s’étaient manifestés pendant les primaires démocrates en créant un mouvement d’abstentionnistes et en tentant de se faire entendre à la Convention démocrate. Cette dernière manœuvre échoua piteusement. Il fallait alors punir Biden-Harris personnellement, alors que la députée palestino-américaine démocrate Rachida Tlaib, qui accusait Israël de génocide fut réélue à 69% dans sa circonscription fortement arabe de Dearborn au Michigan ! Le vote arabe pouvait voter à la fois Trump et Tlaib !
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Les Arabes pro-Trump n’avaient de valeur pour le candidat que dans le Michigan. En effet le système des 50 collèges électoraux produit cet effet de bascule arabo-américain. Avec ses 10 millions d’habitants, le Michigan revêt, et revêtira, une importance particulière : 392 000 Arabes, selon l’estimation du Arab American Institute, forment une forte minorité arabe rapportée à la population de l’État. Ainsi l’électorat arabe du Michigan a été courtisé par Kamala Harris et Donald Trump, et même par la candidate du Green Party, Jill Stein, qui mena une campagne pour « mettre fin au génocide à Gaza ».
Ainsi Trump remporta l’Etat avec une marge supérieure à 80 000 voix : Donald Trump avec 2,8 millions de voix, Kamala Harris 2,73 millions, Jill Stein 44 000 seulement.
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Encore une fois, le génie électoral de Donald Trump est manifeste. Comme en 2016 avec les hommes noirs, il avait avancé une proposition simple : les Démocrates sont-ils si favorables à vos intérêts ? Non ? Alors tentez les Républicains.
Cette attitude existe depuis longtemps chez les Républicains, sans donner d’immenses résultats. Cette approche électorale a bien marché en 2024, sur fond d’inflation, de guerres et d’immigration massive.
En fin de compte, cet appui arabo-américain pourrait avoir un effet positif sur la diplomatie à venir. Car Benjamin Netanyahu n’a rien à refuser à Donald Trump, alors que ce dernier a une petite dette envers les Arabo-américains. Enfin, puisque le Hamas est quasi-détruit, et que le Hezbollah n’a visiblement aucun soutien aux États-Unis, une bascule rapide de la diplomatie américaine vers l’Arabie saoudite se conjuguerait très bien avec une sensibilité nouvelle envers un nouvel électorat.