La France rurale se meurt, et la fermeture des bureaux de poste en est l’un des symptômes les plus visibles. Des milliers de petits villages, autrefois animés par leurs commerces et services publics, sombrent peu à peu dans l’oubli. Aujourd’hui, c’est la présence postale qui s’efface. Prenons le cas de Saint-Laurent-en-Royans, dans la Drôme, où les habitants luttent pour préserver leur dernier bureau de poste. Ils résistent, mais la tendance est nationale : la Poste ferme des centaines de points de service chaque année, poussant les communes rurales vers une désertification inéluctable.
La fracture ville-campagne, ou la logique du sacrifice rural
Depuis des décennies, les politiques publiques vantent l’égalité des territoires, mais la réalité est tout autre. La fracture entre les villes et les campagnes n’a jamais été aussi béante. Tandis que les grandes métropoles se gorgent d’infrastructures, de services et d’investissements, les villages, eux, sont condamnés à se contenter des miettes. La Poste, institution centenaire autrefois fière de sa mission de service public, illustre parfaitement ce délaissement rural. Depuis sa transformation en société anonyme en 2010, la logique marchande a pris le pas sur la mission sociale.
La fermeture des bureaux de poste en milieu rural relève d’une stratégie délibérée de réduction des coûts, sans considération pour les conséquences humaines et territoriales. Derrière les chiffres, ce sont des villages qui perdent leur âme, des populations vieillissantes qui se retrouvent privées de services essentiels, et un exode rural qui s’accélère. La Poste, autrefois le symbole de la présence de l’État partout sur le territoire, ne veut plus des campagnes. Elle préfère concentrer ses forces dans les zones denses, où la rentabilité est assurée.
Le cas de Saint-Laurent-en-Royans : une résistance courageuse, mais insuffisante
À Saint-Laurent-en-Royans, le combat est emblématique de cette lutte pour la survie des villages ruraux. Avec seulement quelques centaines d’habitants, ce bourg de la Drôme voit son dernier bureau de poste menacé de fermeture. Face à cette décision, les résidents ont réagi avec dignité et détermination, en lançant une pétition et en multipliant les actions pour sensibiliser l’opinion. Une bataille pour la sauvegarde d’un service essentiel, mais aussi pour le maintien du lien social.
Car la fermeture d’un bureau de poste, ce n’est pas seulement la disparition d’un guichet. C’est la perte d’un lieu de rencontres, de discussions, et d’assistance. C’est priver les aînés d’un point de repère dans un monde de plus en plus numérique, où ils peinent souvent à s’adapter. Pour ceux qui n’ont pas de voiture, c’est l’angoisse de devoir parcourir des kilomètres pour retirer un colis ou envoyer un recommandé. C’est, enfin, le sentiment d’être abandonnés par la République, de voir les dernières traces de l’État s’évaporer.
La Poste tente de sauver les apparences, mais qui y croit encore ?
La direction de La Poste tente pourtant de justifier ces fermetures. Selon elle, les points relais, les agences communales et les services numériques compenseraient la disparition des bureaux de poste traditionnels. Mais la réalité est bien différente. Les agences communales, gérées par des employés municipaux, ne peuvent offrir la même qualité de service. Quant au numérique, il reste un obstacle pour de nombreux seniors qui peinent à maîtriser ces outils. La fracture numérique, au lieu de se réduire, ne fait que se creuser. L’Association des Maires de France (AMF) l’a rappelé récemment : la présence postale territoriale est un enjeu vital pour le maintien de la vie dans nos campagnes. Les engagements pris par La Poste pour garantir cette présence doivent être respectés, sous peine de voir la désertification s’accélérer.
Il est également ironique de constater que La Poste, devenue une entreprise privée, continue de percevoir des subventions de l’État pour sa mission de service public, tout en réduisant sa présence là où elle est le plus nécessaire. En somme, on continue de financer un service qui disparaît sous nos yeux.
Une politique de désengagement qui va coûter cher à la France
L’État est-il conscient des conséquences à long terme de ces fermetures ? En abandonnant la ruralité, on condamne des territoires entiers à la dévitalisation. Les bureaux de poste ne sont pas les seuls services à disparaître. Depuis des années, les écoles, les gendarmeries, les commerces, et même les lignes de transport public se retirent des campagnes, rendant la vie de plus en plus difficile pour les habitants. Ce mouvement pousse les jeunes à quitter leur village natal pour s’installer en ville, accentuant le déclin démographique des zones rurales.
En 2023, une enquête révélait que près de 80 % des Français estimaient que la fermeture des services publics en milieu rural accentuait la fracture territoriale. C’est bien là le problème : une France à deux vitesses, où l’on oppose désormais la France des villes connectées et des start-ups à la France des champs et des traditions. Et que nous reste-t-il à offrir à ces territoires ? Un service postal en pointillé, des solutions numériques insuffisantes, et une sensation d’abandon.
Reconquérir la ruralité : une nécessité politique et sociale
Si rien n’est fait pour inverser la tendance, la désertification rurale se poursuivra inexorablement. Pour éviter ce désastre, l’État doit reprendre en main la question de la présence postale, et plus largement des services publics en milieu rural. Il est illusoire de penser que des solutions numériques et quelques points relais suffiront à maintenir le lien social dans les villages.
Le gouvernement doit imposer à La Poste de respecter ses engagements, et même d’aller au-delà. Il est nécessaire de renforcer la mission de service public de cette entreprise, et de la contraindre à maintenir ses bureaux ouverts dans les villages, quitte à ce que cela ne soit pas rentable. Car la rentabilité économique ne peut pas être le seul critère de décision quand il s’agit de cohésion territoriale. De plus, il est urgent de développer des politiques qui facilitent le maintien des commerces et services de proximité.
Dans cette reconquête de la ruralité, La Poste pourrait jouer un rôle central, à condition que ses dirigeants en aient la volonté. Mais cela suppose de remettre l’humain au centre des préoccupations, et non plus seulement les bilans financiers. L’avenir de nos campagnes en dépend, et avec lui, une certaine idée de la France.
La fermeture des bureaux de poste ne doit plus être perçue comme une fatalité, mais comme un enjeu politique majeur. En continuant sur cette voie, nous risquons de transformer nos villages en musées à ciel ouvert, des lieux où l’on ne vit plus, mais que l’on visite parfois, par nostalgie.