L’élection de Donald TRUMP est un nouveau signal d’alerte pour l’Europe qui s’est bien longtemps reposée sur les États-Unis pour assurer sa défense. Si la prophétie du général de Gaulle ne s’est pas encore pleinement réalisée (un jour, les Etats-Unis quitteront le Vieux Continent), les orientations de Donald TRUMP semblent assez évidentes dans trois domaines qui mettront à mal la protection américaine de l’Europe :
- Premièrement, la priorité de Donald TRUMP semble être la lutte contre la Chine dont il déplore régulièrement le commerce déséquilibré. Cette réorientation vers l’Asie ne peut que retirer des moyens et de l’attention américaine sur le vieux continent.
- Deuxièmement, ses annonces tonitruantes sur la guerre en Ukraine qu’il prétend régler en 24 h, ses contacts réguliers avec Vladimir POUTINE et son approche européenne déformée par le prisme de son interlocuteur européen préféré, l’autocrate pro-russe Victor ORBAN, incitent à anticiper une pression sous forme de « deal » entre Trump et Poutine, au détriment au premier chef des Ukrainiens, de leur intégrité territoriale et de leur indépendance, mais également au détriment des pays européens voisins de la Russie qui ne pourront qu’être inquiets d’être les prochains dans la démarche de déstabilisation que mène Vladimir POUTINE dans une guerre hybride permanente.
- Troisièmement, il sera fort probable d’entendre prochainement Donald Trump revenir sur ses exigences de contribution des États européens à l’OTAN ; ou pire voir son influence affaiblir l’alliance atlantique à tel point qu’elle ne serait plus crédible dans son rôle dissuasif face à la Russie.
Pourtant dans ce contexte d’urgence, les Etats européens semblent encore incapables de bâtir une défense européenne forte, qu’elle soit le complément de défenses nationales réellement opérationnelles et interopérables ou une véritable défense européenne commune.
Deux jours avant l’élection de Donald TRUMP, alors que les sondages ne laissaient que le doute dans l’esprit des optimistes, Luc Frieden, Premier ministre du plus petit mais aussi plus riche État européen, le Luxembourg, plaidait pour une réelle discussion sur « la nécessité d’une armée européenne », lors d’un discours au collège d’Europe à Natolin, en Pologne, tout en balayant l’hypothèse de 27 armées européennes différentes, qui, selon lui, seraient incapables « d’opérer toujours ensemble, et d’offrir assez de sécurité à l’Europe ».
Selon lui toujours, cette armée devrait faire partie intégrante de l’OTAN et être interopérable avec elle, tout en étant « un partenaire indispensable à nos alliés nord-américains ».
Si, en première lecture, la proposition de Luc Frieden peut sembler s’inscrire dans les pas de la proposition d’Emmanuel Macron formulée dès le début de la guerre en Ukraine, le concept de développement d’une armée européenne dans la bouche du Premier ministre luxembourgeois pourrait plus rejoindre la stratégie de Nicolas Sarkozy qui prônait ce développement en 2008… après une restructuration de l’Armée française qui lui fit perdre beaucoup de ses capacités ; une annonce vécue dans de nombreuses capitales européennes comme une stratégie visant à faire reposer sur les autres pays européens une part de la défense que la France ne souhaitait/pouvait plus assumer financièrement.
Cette seconde interprétation semble cohérente à la lecture simultanée de l’effort budgétaire luxembourgeois en matière de défense : atteindre 2% du RNB en 2030 ; flatteur mais déceptif…
Cet objectif est en effet loin d’être ambitieux et même loin des critères prônés par l’OTAN. Déjà en 2018, lorsque le Président Trump ne souhaitait plus que les Etats-Unis payent pour les Etats – européens notamment – qui ne remplissaient pas leur effort de défense, le critère budgétaire selon la norme OTAN était de 2% du PIB.
Atteindre 2% du PIB en 2030 pour son budget défense revient donc pour le Luxembourg à retarder d’une décennie son obligation de solidarité otanienne en faisant de facto reposer cet effort sur ses voisins européens.
À titre de comparaison, et sans être militariste ou belliciste, il convient de mettre cette proportion budgétaire en regard de celle mise en œuvre par d’autres « petits pays européens » dont l’économie est pourtant bien moins génératrice de richesse que celle du Luxembourg. Ainsi, les pays Baltes ou même le Danemark ont procédé à une hausse de leur budget de la défense portant leur effort au-delà du seuil minimum fixé par l’alliance à 2 % du PIB. En 2024, sur les 32 membres de l’alliance, 23 pays alliés ont déjà atteint ce seuil (contre 3 en 2014). Mais le Luxembourg s’octroie encore un délai jusqu’en 2030 pour atteindre 2% de son RNB… et non de son PIB.
En négociant de base son effort en matière de défense en référence à son RNB (PNB) et non à son PIB en raison de ses spécificités économiques (sic), le Luxembourg atteindra donc en 2030 une dépense militaire inférieure d’environ 25% au seuil de 2 % de son PIB, seuil qui pourrait très probablement être appelé à la hausse par l’OTAN ou par la situation sécuritaire pour permettre une défense européenne crédible.
Aujourd’hui forte de 1200 hommes, l’armée Luxembourgeoise n’a pas atteint le seuil critique minimal opérationnel que constitue le déploiement d’un bataillon de combattants, dirigé par un Etat-Major et soutenu pour durer ; un volume qui serait bien insuffisant, non seulement à contribuer à la crédibilité de la défense européenne, mais aussi à défendre les seules frontières, fussent-elles extrêmement réduites, que sont celles du Luxembourg. L’histoire des Première et Seconde guerres mondiales nous rappelle que le Luxembourg fut envahi sans combat, incapable de défendre une frontière bien moins longue que le front actuel en Ukraine. Étrange réalité pour un petit pays qui milite activement pour son indépendance et la sauvegarde de son modèle économique qui lui confère le rang de 1er PIB / habitant au niveau européen et 5e mondial derrière quelques paradis fiscaux.
Pourquoi l’augmentation de la dépense en matière de défense n’est pas si facile
Augmenter son budget consacré à la défense suppose non seulement d’en avoir les moyens et la volonté, mais aussi de pouvoir traduire cette dépense en réelles capacités opérationnelles.
Fervent défenseur de l’attractivité de sa place financière, indispensable à assurer la prospérité insolente de son pays dans un contexte européen morose, le Premier ministre luxembourgeois s’inscrit avec encore plus d’orthodoxie que ses prédécesseurs dans une volonté de limiter strictement les déficits et la dette publique (actuellement voisine de 26 % du PIB). Confronté à une hausse tendancielle des besoins en infrastructures et en accompagnement sociaux, notamment avec le poids des retraites des travailleurs issus du début du boom de la place financière luxembourgeoise, l’équation budgétaire du Luxembourg tend à trouver ses limites, dès lors qu’elle place en priorité absolue le maintien de l’attractivité du pays par une fiscalité très avantageuse pour les entreprises (indispensable à assurer la croissance continuelle des emplois) et le maintien d’un faible taux d’endettement. Mais ne pas se doter d’une défense crédible est un risque à moyen et long terme, surtout dans un contexte de guerre hybride où les nouvelles technologies et la démocratie sont des cibles de choix de déstabilisation par le Kremlin et ses bras armés.
Augmenter sa part budgétaire ne saurait se résumer à l’acquisition d’équipements, certes très budgétivores. Elle doit s’accompagner d’une véritable structuration de sa défense et donc être en capacité de construire une armée d’hommes et de femmes rompues à des procédures otaniennes ou interopérables au niveau européen, mais surtout en capacité morale et physique à se projeter dans le sacrifice qu’impose tout engagement militaire. Réussir ce recrutement, mais surtout disposer de militaires aptes à être projetés est un défi qui rejoint l’identité du pays, sa force morale et les valeurs pour lesquelles ces hommes et femmes accepteront vraiment de combattre. Dans un contexte de faible chômage, l’armée luxembourgeoise (tout comme la police du Grand-Duché) est confrontée à une concurrence des employeurs privés qui proposent des emplois sans ces sujétions.
La guerre en Ukraine nous enseigne la nécessité d’une défense plus complète alliant supériorité technologique à la rusticité, capable d’innover très vite dans de nouveaux équipements tels que les drones pour éviter l’assèchement du capital humain envoyé au front, de fournir un approvisionnement permanent en munitions, mais aussi de nouvelles capacités de commandement décentralisées et une aptitude à résister aux manœuvres d’influence.
Mais au-delà de la défense strictement militaire, la défense totale est plus que jamais d’actualité. Une économie numérique est de facto exposée aux risques cyber et à la dépendance énergétique ; une économie démocrate est bouleversée par l’univers de la désinformation ; une économie financière très dépendante de la situation internationale est par nature fragile devant les changements géostratégiques de notre monde.
De grands défis attendent le Luxembourg et toute l’Europe en matière de défense. Au-delà des discours, des intentions, des annonces tonitruantes toujours non mises en œuvre (comme la spectaculaire augmentation du budget de la défense allemande annoncée au début de la guerre en Ukraine), l’urgence est réellement celle d’une économie de la défense, sous peine de devoir passer à une économie de guerre bien plus consommatrice de ressources.
En cette période de commémoration de sa liberté rappelée par les anniversaires de l’Armistice et de la Chute du Mur de Berlin, l’Europe a plus que jamais le devoir de réellement s’engager au profit de son avenir.