Opinion
12H00 - vendredi 15 novembre 2024

Trump n’est pas raciste, mais il laisse parfois penser le contraire. La chronique de Harold Hyman

 

Pour l’instant, il ne faut pas désespérer des États-Unis : les racistes ne vont pas débarquer à Washington. Si les voix sont nombreuses pour redouter un regain de racisme, une question peut se poser : le racisme attribué à Donald Trump et aux Républicains est-il réel ? Au sens de la gauche sociétale, oui. Chez le reste de la population américaine, non ou presque.

Il est délicat de postuler qu’il y a plusieurs sortes de racisme, et une zone grise de racisme présumé qui serait sujet à interprétation. Mais il faut quand même s’y risquer afin de comprendre la victoire de Donald Trump et deviner ses intentions. Il a lui-même prononcé cette phrase banale, mais ambiguë, en 2017 : « Je suis la personne la moins antisémite que vous ayez jamais rencontrée de votre vie ». Sur le plan purement logique, cela signifierait que chacun serait un peu raciste, et que l’on serait jugé sur une échelle relative. Et pourtant l’on comprend qu’il s’agit d’une question de langage. Dans les faits, il n’est pas antisémite du tout, sa fille Ivanka s’est convertie au judaïsme et a épousé Jared Kushner, juif lui-même. La presse américaine bon teint estime que Trump a une façon surannée de ne pas être raciste ; en tant que New-Yorkais d’origine, je confirme. Les jeunes, même de droite, ne parleraient pas comme ça. Et pour les wokes, et même les moins wokes, le seul fait de parler des questions raciales de manière triviale est un signe d’insensibilité, et partant, un signe de mépris d’un autre groupe racial ou ethnique. Cette attitude impose l’obligation d’utiliser uniquement la vision intersectionnelle (à la base du wokisme).

 

Or, on n’enferme pas Donald Trump si facilement. Il nous oblige toujours à interpréter ses déclarations. Le Muslim Ban — l’interdiction de rentrer sur le territoire américain sans enquête préalable de dangerosité, appliqué aux ressortissants de sept pays — de 2016 à 2018, a été dénoncé comme de la provocation raciale contre les Arabes et autres ethnies musulmanes (« race-baiting »). Aussi, en juin 2016, il avait dit de l’ignoble massacre islamiste de la discothèque d’Orlando (49 morts, 53 blessés) perpétré par un Américain natif d’origine afghane : « The Muslims can be patriotic Americans, but they’ve got to tell us, they knew something », (Les Musulmans peuvent être des Américains Patriotiques, mais ils doivent nous avertir, car ils savaient quelque chose). Cette phrase fut prononcée dans un grand meeting télévisé. La surprise, huit ans plus tard, est le revirement à la fois de Trump et de l’électorat musulman qui lui a apporté plus du tiers de ses voix. Au cours de cette campagne, Trump ne prononça pas un mot islamophobe, ne prononça pratiquement jamais le mot « Islam », ou « Muslim », exception faite des réunions publiques avec des notables musulmans qu’il courtisait assidûment.

 

Le vote des hispaniques — environ 40% lui ont accordé leur suffrage — le dédouane également de son apparent racisme anti-migrants latino. L’attachement latino à la famille et dans une moindre mesure à la religion a compté pour quelque chose, en plus des considérations économiques. Enfin, le vote noir ne l’a pas trop boudé, surtout chez les hommes, malgré l’inquiétante déclaration sur les migrants haïtiens clandestins qui « mangent les animaux de compagnie des paisibles citoyens » à Springfield dans l’Ohio — un hoax. Trump affectionne la provocation méchante. Enfin, moult électeurs, adeptes des réseaux sociaux et des podcasts populaciers, sont réceptifs.

 

Au final, le racisme de Donald Trump est un mythe que l’intéressé lui-même, facétieux, a toléré afin d’énerver ses adversaires. Ce jeu problématique nous ferait oublier l’essentiel : que le racisme n’est plus une valeur américaine. Certes, rien ne sera vraiment suffisant pour les wokes. En revanche, côté républicain, l’on ne se sent pas raciste. Même les Blancs républicains sudistes ne veulent pas être taxés de racistes. Autour du futur président, il y a bon nombre de non-blancs. La présence d’Indiens d’Asie est à noter : Vivek Ramaswamy, et l’épouse de J.D. Vance. Il y a plusieurs élus Républicains noirs comme le Sénateur Tim Scott de Caroline du Sud, qui ont l’oreille du futur président. Soixante-quinze millions d’Américains ne se sont pas donnés à un raciste, et ne l’auraient pas voulu.

 

 

Harold Hyman, journaliste spécialisé en questions internationales sur CNEWS