Souvent cité comme exemple dans un continent où coups d’État et scrutins arrachés au peuple se succèdent, le Sénégal, pays de la Teranga (hospitalité en langue wolof), peut se gargariser d’avoir des institutions stables qui ont résisté à trois alternances, toutes réalisées sans heurts malgré la tentation de certains présidents de s’accrocher au pouvoir.
Néanmoins le monde bouge, le Sénégal aussi : il ne saurait échapper aux mutations sociales, économiques et politiques qui bousculent le continent et viennent titiller la démocratie. Une bascule s’est opérée dès 2015 face à une volonté assumée du pouvoir en place de « démanteler l’opposition » en la réduisant à sa plus simple expression, pour reprendre les termes de Macky Sall alors président de la République. Sous son second mandat, le président Macky Sall ira plus loin en emprisonnant nombre d’opposants et de simples militants pour des motifs aussi fallacieux que la rédaction de postes Facebook contre le régime en place.
Évidemment la démocratie ne relève jamais de l’acquis et elle peut être sous tension, en danger voire basculer. Le Sénégal est loin de cette bascule mais ces dernières années, la démocratie a été malmenée, notamment à la veille de scrutins électoraux.
La mobilisation de la jeunesse sénégalaise face à un pouvoir tenté de se maintenir par tous les moyens au mépris de la Constitution aura coûté la vie à vingt-neuf jeunes victimes d’une répression sanglante lors de manifestations.
On peut affirmer raisonnablement que le jour où le pouvoir en place a décidé de tirer sur des jeunes manifestants, c’en était fini du pouvoir de Macky Sall.
Les douze dernières années qu’ont été le magistère du Président Macky Sall ont fait naître des tensions jamais connues entre le peuple sénégalais et ses dirigeants. Un fossé s’est creusé entre des politiques complètement hors sol, nourris par une certaine opulence, obstrués dans l’ivresse du pouvoir et un peuple lassé des promesses non tenues et par une espérance assombrie.
Les départs en bateaux de fortune pour rejoindre l’Europe n’ont jamais été aussi nombreux que sous la mandature de Macky Sall. Tout comme le nombre de vies sacrifiées, naufragées, disparues à jamais dans les profondeurs des mers et des océans. Rien ne décourage à rejoindre la Méditerranée. Jeunes gens, femmes et même des adolescents sont prêts à quitter le bateau commun qu’est le Sénégal au profit d’une pirogue dont ils n’osent imaginer qu’elle pourrait sombrer dans les eaux et ne jamais atteindre la moindre côte de l’eldorado Europe.
Un autre phénomène est venu attaquer la démocratie, c’est la violence de plus en plus présente dans l’espace public et politique. Il n’y a qu’à observer l’hémicycle de l’Assemblée nationale sénégalaise lors de la précédente mandature. Invectives, noms d’oiseaux, y ont pris place au détriment des débats, de propositions concrètes au service du peuple.
Ce qui se joue, c’est l’avenir de la démocratie, de l’expression du peuple confiée aux politiques et plus particulièrement aux députés. C’est l’enjeu de la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée le 12 septembre dernier par le président Bassirou Diomaye Faye, élu en mars 2024 sur les ruines et l’épuisement du pouvoir de Macky Sall.
La confiance accordée par les Sénégalais dès le premier tour avec une majorité écrasante serait un signal fort envoyé à ceux qui veulent un Sénégal divisé et ingouvernable.
Batailles politiciennes pour les législatives
Après l’alternance réussie de mars dernier qui a porté Bassirou Diomaye Faye à la tête du Sénégal dès le premier tour avec un score exceptionnel de plus de 54%, les Sénégalais sont à nouveau appelés aux urnes pour des élections législatives prévues le 17 novembre. Conséquence de la dissolution annoncée le 12 septembre lors de l’allocution présidentielle, une annonce sans surprise au regard de la configuration de l’Assemblée nationale sénégalaise largement acquise aux partisans de Macky Sall, président sortant, qui conformément aux dispositions légales n’a pu se représenter mais qui, à la surprise générale, est candidat aux législatives.
Les enjeux de ce scrutin sont éminemment importants tant son issue impactera l’avenir du mandat présidentiel. Les attentes des Sénégalais sont grandes : un pouvoir d’achat en berne, un coût de la vie de plus en plus élevée, une population jeune parfois surdiplômée qui peine à trouver sa place dans un marché du travail miné par le travail informel. Autant de défis auxquels il est urgent de répondre.
Pour cela le gouvernement doit avoir les mains libres pour faire voter et mener les réformes nécessaires. En effet, l’action efficace du gouvernement est soumise à l’obtention d’une large majorité pour pouvoir mettre en œuvre le programme plébiscité par les Sénégalais en mars.
La campagne présidentielle ayant laissé des traces, des alliances de circonstance sont nées avec pour seule ambition de bloquer les débats quitte à pénaliser les Sénégalais. La politique politicienne a repris sa place même dans les rangs d’une certaine opposition qui pourtant n’a cessé de dénoncer cette pratique tout au long des 12 dernières années.
Ce sont 41 listes (le scrutin législatif sénégalais étant un scrutin de liste à l’image de nos élections régionales en France) qui sont en lice pour mener cette bataille simultanément au niveau national comme au niveau des départements. Il s’agit là d’une spécificité sénégalaise qui ne facilite pas la compréhension de l’attribution des sièges. Ce sont donc 165 sièges qui sont à pourvoir auxquels s’ajoutent les 8 très convoités sièges dédiés à la représentation de la Diaspora sénégalaise sise dans le monde entier.
Quasiment tous les courants politiques et mouvements sont représentés.
Des coalitions étranges, parfois contre nature, se sont formées. Comment expliquer l’alliance du Parti démocrate sénégalais (PDS) fondé par Abdoulaye Wade avec l’Alliance pour la république (APR) de Macky Sall, lorsque l’on connaît leurs divergences et le sort réservé à Karim Wade sous le magistère de Macky Sall ? Une infamie dénoncée par des députés sortants du PDS qui ont refusé de se représenter sous cette bannière.
Pire, d’anciens députés de l’ancien pouvoir, ont renoncé à leur mandat, comme Ibrahima Diop et Mame Diarra Fam, d’autres battent campagne aux côtés du Premier ministre Ousmane Sonko, tête de liste du parti des patriotes africains pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF).
On assiste également à des retours insoupçonnés : Macky Sall est la tête de liste de l’Alliance pour la République. Une situation cocasse quand on sait que l’ancien chef de l’État fait campagne depuis le Maroc, notamment via une boucle WhatsApp dont certains échanges avec ses militants ont été récemment dévoilés.
Il y a comme un parfum de match retour du bras de fer qui eut lieu entre Ousmane Sonko et Macky Sall lors de la précédente élection présidentielle. Les « empêchés » semblent jouer leur revanche dans un climat particulièrement délétère entre invectives et attaques de convois de campagne.
L’enjeu des élections législatives du 17 novembre est simple : doter l’exécutif d’une majorité absolue permettrait au nouveau pouvoir en place de faire voter en toute liberté les textes pour agir. Ou les Sénégalais voudront-ils imposer un contre-pouvoir au sein d’une Assemblée nationale offrant une alternative politique ?
Enjeu politique, économique, social ou simple guerre d’egos, une chose est sûre c’est que le peuple sénégalais impatient continue de souffrir dans l’espoir de changements majeurs dans le quotidien.
Les Sénégalais trancheront dimanche 17 novembre.