Le voyage d’Emmanuel Macron en Amérique latine à l’occasion du sommet du G20 de Rio les 18 et 19 novembre a commencé par une visite officielle en Argentine. Il ne faut pas s’y tromper : c’est aujourd’hui le pays dirigé par Javier Milei qui a le vent en poupe, et la France et l’Europe qui sont demandeurs…
Le spectaculaire redressement de l’Argentine est tout entier à mettre au crédit de Javier Milei. Rappelons que lors de son arrivée à la Présidence de la République argentine le 10 décembre 2023, le pays souffrait d’hyperinflation, d’un déficit abyssal et incontrôlé des finances publiques et se trouvait une nouvelle fois au bord de la cessation de paiements. Aujourd’hui, l’inflation est presque maîtrisée, le budget de l’État est en excédent et le pays a retrouvé son crédit international, notamment auprès de son premier créancier, le FMI. Certes, ce redressement ne s’est pas fait sans coupes sombres dans les dépenses et grincements de dents dans les secteurs naguère chéris du clientélisme péroniste. Mais le capital politique de Javier Milei, un an après sa confortable élection avec 55% des voix, reste quasiment intact avec plus de 40% d’approbation de son action dans l’opinion publique, et une capacité étonnante à nouer des alliances pour faire passer ses projets alors que les troupes issues de son tout nouveau parti sont encore très minoritaires au Parlement.
Emmanuel Macron, qu’il a reçu ce 17 novembre, se trouve pour sa part dans une situation pour le moins contrastée. Alors que 2024 restera comme l’année du génie français capable d’organiser les plus extraordinaires Jeux olympiques de l’histoire et de reconstruire la cathédrale Notre-Dame en un temps record, ce sera sur le plan politique l’annus horribilis du macronisme, défait dans les urnes, détricoté dans son acquis timidement libéral et en échec dans son principe même du « en même temps ». Son hôte argentin Javier Milei, avec lequel les positions idéologiques ne sont pas forcément très éloignées sur le plan de l’économie, est, sur celui de la méthode, l’exact contraire de l’entre-deux du macronisme, lui qui a symbolisé sa volonté de prendre des positions tranchées un adoptant comme emblème de campagne… la tronçonneuse.
Ne pas nous prendre pour ce que nous ne sommes plus…
Alors que l’Élysée se présentait avec son petit ton paternaliste à la Casa Rosada, et la volonté affichée de ramener une Argentine, qui se serait égarée, « vers les objectifs du G20 », il faut bien reconnaître aujourd’hui que le grand frère n’est peut-être pas celui que l’on croit. Le président argentin, qui résout à marche forcée les problèmes de son pays et se positionne clairement dans le bloc occidental, assume une idéologie libertarienne qui se caractérise par une recherche de l’efficacité économique, préalable à toute politique publique. Il se trouve conforté à la fois par les résultats qu’il obtient et par l’élection de Donald Trump, alors qu’il a pris soin de cultiver sa proximité avec Elon Musk. Javier Milei est ainsi en train d’apporter la preuve que la spirale déclinisme / dépense publique clientéliste / augmentation des impôts / stagnation économique / déprime… n’est pas une fatalité.
Sur la scène internationale comme sur le plan national, Emmanuel Macron, qui semble souhaiter prendre du recul et de la hauteur pour reconstituer une part du capital politique dont la France et l’Europe auront bien besoin jusqu’en 2027, doit d’abord faire la preuve de son utilité.
De sa visite officielle en Argentine, suivie du sommet du G20 à Rio puis de sa visite au Chili, doit résulter un renforcement des liens concrets avec le sous-continent latino. L’heure n’est pas aux leçons mais bien au rapprochement avec une région qui partage largement les mêmes valeurs démocratiques et libérales que l’Europe, et dont nous avons tout intérêt à rester un allié stratégique proche.
La France semble l’une des rares à même de jouer ce rôle de passeur à l’heure où la relation entre l’Espagne et l’Amérique latine souffre d’un passé colonial qui resurgit au gré des intérêts plus ou moins légitimes de tel ou tel acteur.
… et contribuer à l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR
Plus que jamais, la signature du traité de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie) s’avère nécessaire pour la France et pour l’Europe : développement du commerce et renforcement de notre excédent commercial alors que la stagnation économique menace, accès à des matières premières stratégiques, renforcement d’une proximité idéologique et culturelle à l’heure de la montée des menaces géopolitiques… Les arguments ne manquent pas et les contre-arguments sont surmontables : seule une partie du secteur agricole français s’inquiète de l’augmentation de quotas d’importation, un peu vite qualifiée de « massive », dans certains domaines (les volailles, mais l’Europe n’est pas autosuffisante, le sucre, le miel ou la viande bovine : mais sur ce dernier point il ne s’agit par exemple que de la possibilité de porter, en 10 ans, les importations à… 1,2% de la consommation européenne). A contrario, le secteur des vins, spiritueux, celui des fromages et de nombreux produits sous signe officiel de qualité verront s’ouvrir de belles perspectives commerciales. Avant d’entamer le travail de pédagogie auprès des parlementaires et de l’opinion française après la période de fièvre des élections des Chambres d’agriculture qui se terminera le 31 janvier 2025 – tâche qui s’annonce longue et complexe dans un pays qui tourne de plus en plus sur le dos à Descartes pour se complaire dans le déni économique et la démagogie – Emmanuel Macron doit avancer avec nos partenaires sud-américains vers les conditions qui rendront possible cet avenir commun avec le Mercosur.
Le succès ou l’échec de ce voyage diplomatique sera ainsi mesuré dans quelque mois, à l’aune de la capacité qu’aura eue Emmanuel Macron à faire avancer les pays du Mercosur vers l’accord de Paris sur le climat et le respect des normes sanitaires européennes en matière de production agricole. Les milliers d’entreprises françaises et européennes, ainsi que leurs salariés, qui retrouvent le chemin du sous-continent et l’espoir de nouveaux marchés prometteurs attendent avec anxiété des résultats. Encore un peu de patience, et nous saurons si l’Europe et le Mercosur peuvent envisager un avenir commun… ou si la Chine, qui pousse ses pions sans scrupules dans la région finira aussi par nous évincer comme elle est en train de le faire avec les Etats-Unis.
Laurent Tranier
Chef de rubrique Amériques latines, fondateur des Éditions Toute Latitude