Edito
04H31 - mercredi 20 novembre 2024

Agriculteurs en colère : quand l’État abandonne ses racines. L’édito de Michel Taube avec Sofiane Dahmani

 

En ce 18 novembre 2024, les campagnes françaises se révoltent à nouveau. A l’initiative de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, rejoints par la Coordination rurale, des centaines de tracteurs bloquent les routes, des convois sillonnent les grands axes, perturbant la circulation en Île-de-France et ailleurs. À travers ces gestes forts, les agriculteurs expriment une colère sourde, mais légitime. Cette colère n’est pas née d’un simple caprice corporatiste, mais d’un sentiment profond d’abandon voire de trahison.

La véritable épreuve du feu commence pour Michel Barnier, comme ce fut le cas pour le Gabriel Attal dès son arrivée à Matignon. Avec ce sentiment que la dissolution de l’Assemblée nationale, en stoppant net le vote d’une grande loi agricole, avait douché leurs rares espoirs de mobilisation générale.

Un secteur en crise profonde

La crise agricole en France ne date pas d’hier. Depuis des décennies, les exploitations familiales, jadis fierté du pays, disparaissent à un rythme alarmant. Entre 2000 et 2020, près de 100 000 fermes ont cessé leur activité. Les causes sont multiples : la pression des grands groupes agro-industriels, des prix imposés par la grande distribution, une réglementation environnementale souvent mal calibrée et, surtout, une mondialisation qui frappe sans discernement.

Le point de rupture est venu avec des accords commerciaux comme le Mercosur. Cet accord permet l’importation massive de produits agricoles sud-américains à des tarifs défiant toute concurrence. Les viandes de bœuf et de volaille, notamment, sont produites à bas coût dans des pays où les normes sociales, environnementales et sanitaires sont bien inférieures à celles imposées en Europe. Pendant ce temps, les agriculteurs français doivent respecter des standards toujours plus exigeants. Résultat ? Un double fardeau : produire à coût élevé et affronter une concurrence déloyale.

Le cas Mercosur : trahison ou naïveté ?

L’accord Mercosur symbolise tout ce que dénoncent les agriculteurs. Sous prétexte de libéralisation économique, il expose le marché européen à des produits venant d’exploitations géantes en Amérique du Sud. Ces exploitations utilisent des pesticides interdits en Europe et pratiquent une déforestation massive, tout en payant leurs ouvriers des salaires inférieurs aux nôtres. Comment nos petits producteurs, soumis à des normes strictes et attachés à leurs terres, pourraient-ils rivaliser ?

Cet accord ne fait pas que ruiner l’économie locale. Il trahit également l’esprit même de la transition écologique. Les produits importés par Mercosur traversent des milliers de kilomètres, augmentant l’empreinte carbone de notre alimentation. Les consommateurs français, souvent mal informés, achètent ces produits à bas prix sans en comprendre les implications. Enfin, cet accord trahit les fondements de l’Union européenne qui, tout en posant le principe u libre échange des personnes, des biens et des capitaux au sein de l’Union, affirment avant tout l’objectif de bien être des Européens et non une ouverture passoire à tous les flux mondiaux.

Une lutte pour la souveraineté alimentaire

Au-delà des chiffres, ce que les agriculteurs défendent, c’est l’idée même de souveraineté alimentaire. Une nation qui ne peut nourrir son peuple avec ses propres ressources est une nation vulnérable. En favorisant les importations, la France renonce à son autonomie et place son alimentation dans les mains d’acteurs étrangers.

La disparition des exploitations locales n’est pas seulement une tragédie économique, mais aussi culturelle. Les fermes françaises incarnent un art de vivre, une transmission de savoir-faire, et un lien unique entre l’homme et la nature. Abandonner les agriculteurs, c’est abandonner ce patrimoine vivant.

L’État face à ses responsabilités

Les gouvernements successifs ont échoué à protéger le monde agricole. Certes, des aides ponctuelles ont été distribuées pour calmer les crises, mais aucune stratégie de long terme n’a été mise en œuvre. On préfère promettre des subventions plutôt que de repenser le modèle économique.

Pourtant, des solutions existent. Taxer davantage les produits importés ne respectant pas nos normes, encourager les circuits courts, investir dans des filières locales et redonner du pouvoir aux agriculteurs face aux géants de la distribution. Ces mesures ne demandent ni révolution ni miracles, mais simplement une volonté politique.

Une révolte qui nous concerne tous

Les manifestations agricoles d’aujourd’hui ne sont pas qu’une affaire de paysans. Elles posent une question fondamentale : quel avenir voulons-nous pour la France ? Une nation qui abandonne ses terres à la mondialisation, ou un pays qui défend ses racines et son autonomie ?

En se mobilisant, ces hommes et femmes rappellent à la classe politique que derrière les statistiques se trouvent des vies, des familles, et un héritage. Leur colère est celle d’une France oubliée, mais essentielle. Ne pas les écouter serait une erreur tragique.

Michel Taube
et Sofiane Dahmani, chroniqueur

 

Directeur de la publication

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