Opinion
18H42 - vendredi 22 novembre 2024

Déraison juridique et déni de démocratie. Tribune d’Alexandre Lamy

 

La démocratie n’est pas immortelle. Elle peut mourir de dérives lentes et pernicieuses.

C’est à l’une de ces dérives que nous assistons s’agissant des réactions au procès des emplois fictifs du Rassemblement national, et aux réquisitions d’inéligibilité du parquet.

 

Notre société démocratique est régie par l’état de droit dont il est une condition substantielle.

Or, l’état de droit, dont la justice est l’incarnation, se fonde sur des règles de droit partagées, votées par nos représentants, qui découlent des principes de la Constitution comme celui de l’égalité de tous devant la loi.

Protégeant de l’arbitraire, l’état de droit est une garantie de vie en Société qui implique que le droit s’impose à tous, en tout temps, sans céder à l’émotion de l’instant.

Or, le droit prévoit – depuis la loi Sapin II du 11 décembre 2016 « pour la confiance dans la vie politique », des peines d’inéligibilité complémentaires obligatoires pour cinq ans en cas de condamnation pour des délits d’atteinte à la probité publique.

Renier l’état de droit et son caractère intangible – comme s’est autorisé à le faire notre actuel Ministre de l’intérieur – c’est promouvoir la loi du plus fort – électoralement, physiquement, sportivement…–, c’est miner la démocratie.

C’est pourtant le discours qui est tenu – y compris par notre précédent Ministre de l’intérieur –, évinçant ainsi le droit sous la tyrannie des émotions collectives, des injonctions de l’opinion et de la quête de popularité.

C’est cette même dérive à laquelle la CGT s’est laissée aller, en exigeant un moratoire sur les licenciements face au spectre des fermetures d’usines, se coupant ainsi du droit pour satisfaire les attentes de l’opinion et des enjeux de communication.

 

La question du caractère anticonstitutionnel d’une telle mesure se pose pourtant clairement !

Certes l’organisation syndicale n’en est pas à son premier mépris de démocratie, n’ayant pas craint d’appeler en effet cet été à la mise sous surveillance de nos institutions !

Une telle déraison juridique est par ailleurs un exemple assez frappant de la paresse intellectuelle actuelle, consistant à préférer la facilité du repli et de l’interdiction face à la difficulté plutôt que la conquête.

Pourtant, la sauvegarde de notre industrie mérite une réflexion profonde sur la création et la mise en œuvre de plans d’urgence de formations au soutien d’une industrie innovante et décarbonée, sur la simplification et l’allègement du poids des normes et des charges.

Face aux enjeux conjoncturels de multiplication des plans de licenciements frappant notre secteur manufacturier, plutôt que de penser à interdire, pourquoi ne pousser à la création de plateformes  inter et intra-sectorielles de mobilités professionnelles.

À l’instar des pôles de compétitivité créés en 2004 pour les projets de développement économique pour l’innovation, la création de pôles de compétitivité pour l’emploi mériterait  d’être considérée, mobilisant acteurs privés et acteurs publics, sur le modèle de la solution conjoncturelle de plateforme territoriale d’action pour l’emploi mise en place pour accompagner les salariés du site de Bridgestone à Béthune en 2021.

 

Plutôt que de se couper du droit et prendre ainsi le risque de miner notre démocratie, pourquoi ne pas s’en servir comme outil pour renouer avec l’esprit de conquête ?

 

Alexandre Lamy

Avocat associé chez Arsis Avocats, co-fondateur du think tank Néos dédié aux enjeux de l’emploi et du travail