Haïti, ce petit bout de terre où l’histoire semble s’écrire avec le sang des désillusions et la rage des espérances trahies, traverse une fois encore une crise d’une ampleur tragique.
Crise ? Le mot paraît presque dérisoire. Parler de chaos serait plus juste, car c’est bien d’un État effondré dont il est question. Et voilà qu’Emmanuel Macron, dans un moment de franchise brutale, se permet de déclarer, sans détour, que ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui ont tué leur propre pays. Une phrase choc, un constat terrible. Mais est-il juste ?
Une faillite collective
Que reste-t-il d’Haïti ? Un pays où 80 % de la capitale est sous la coupe de gangs, où le Conseil présidentiel de transition, censé incarner une lueur d’espoir, s’enfonce dans des querelles intestines, limogeant des figures telles que Garry Conille, sans autre ambition que de préserver ses propres intérêts. Haïti n’est pas simplement à genoux, il est à terre, incapable de se relever face à l’anarchie qui règne. Ce n’est plus une question de pauvreté, ni même d’aide internationale. C’est une faillite morale et politique.
Le constat est accablant, mais peut-on réellement accuser les Haïtiens seuls de cette tragédie ? Certes, les élites locales ont souvent brillé par leur incompétence et leur corruption. Mais réduire l’effondrement d’Haïti à une sorte d’autodestruction relève de la simplification brutale. Où était la communauté internationale, et notamment la France, pour soutenir durablement ce pays qu’elle a saigné à blanc depuis l’époque coloniale ? Haïti a été abandonné, livré aux mafias et aux trafics, sans institutions solides pour le défendre.
Macron : une diplomatie des petites phrases
Dans cette affaire, Emmanuel Macron joue les Cassandre. Sa déclaration sur les Haïtiens « complètement cons » qui auraient « tué Haïti » est certes choquante, mais révélatrice de son mépris latent pour ceux qu’il considère comme incapables de gouverner. Une posture qui rappelle, une fois encore, la suffisance de l’Occident lorsqu’il s’agit de juger les pays en développement. Oui, Haïti est en ruines, mais la France et les grandes puissances portent aussi une part de responsabilité dans cet échec collectif.
En privé, le président français se lamente sur le départ de Garry Conille, qu’il jugeait « formidable ». Mais où sont les actes ? Où est l’engagement diplomatique ou financier pour aider ce pays à sortir de l’impasse ? Macron, comme tant d’autres avant lui, se contente de commenter le désastre au lieu de le combattre. Haïti n’a pas besoin de mots durs. Haïti a besoin d’alliés.
L’ombre des gangs : le cancer de Port-au-Prince
Le problème le plus urgent, celui qui gangrène Haïti au point de rendre toute gouvernance impossible, reste le contrôle des gangs. À Port-au-Prince, ces organisations criminelles imposent leur loi avec une brutalité sans égale, rendant tout effort de reconstruction vain. Comment un État peut-il fonctionner quand ses forces de l’ordre sont impuissantes, quand ses ministères sont des coquilles vides et quand ses citoyens vivent dans la peur constante ?
La France, qui a prétendu incarner les droits de l’homme, a-t-elle seulement envisagé de proposer une aide militaire pour désarmer ces gangs ? L’ONU, cette organisation qui brille souvent par son inaction, a-t-elle un plan pour sécuriser le territoire ? Non, car Haïti est devenu un fardeau que personne ne veut porter. Et pendant ce temps, les Haïtiens sombrent dans un désespoir qui alimente encore plus de violence et de chaos.
Haïti, un miroir de l’Occident
L’effondrement d’Haïti ne devrait pas être vu seulement comme une tragédie locale, mais comme un avertissement mondial. Ce pays, autrefois symbole de liberté après sa révolution contre l’esclavage, est devenu le miroir des échecs de l’Occident à tenir ses promesses. Les grandes puissances, obsédées par leurs propres crises, laissent des nations entières sombrer, tout en se drapant dans une moralité hypocrite.
Le cynisme d’Emmanuel Macron, qui déplore en privé ce qu’il ignore en public, est à l’image de cette époque. Haïti est un rappel brutal que les grandes phrases et les indignations diplomatiques ne remplacent pas l’action concrète. Si la communauté internationale continue de détourner les yeux, ce petit pays des Caraïbes deviendra un laboratoire du pire, une démonstration éclatante de ce qui arrive lorsqu’un État meurt dans l’indifférence générale.
Relever Haïti : une utopie ?
Pourtant, tout n’est pas perdu. Haïti regorge de talents, de volontés, de ressources humaines capables de redresser la situation. Mais cela nécessite un effort collectif, une mobilisation internationale sans précédent, et surtout, une classe politique haïtienne prête à se réformer en profondeur. Il est encore temps de sauver ce pays, mais la fenêtre d’opportunité se referme rapidement.
Macron a raison sur un point : Haïti ne peut pas s’en sortir seul. Mais ce constat ne doit pas se transformer en fatalisme. Si l’Occident, et notamment la France, veut éviter d’être complice de ce naufrage, il est temps d’agir. Pas avec des mots, mais avec des actes.
Car, au bout du compte, ce n’est pas seulement Haïti qui meurt. C’est aussi notre humanité.