Il s’appelait Joseph. Joseph Schweitzer. Il était mon grand-père maternel.
« Un jour, à la sortie de l’école, un gamin du quartier me dit de me dépêcher » se souvient Nicole, ma mère, fille aînée de Joseph. « Ton papa est revenu » continue-t-elle. « Quelle joie ! Je cours. Il s’était caché derrière la porte. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Après quelques semaines passées à Constance en convalescence, avec une bonne nourriture après toutes ces privations, son visage était un peu gonflé. Et puis, presque deux ans sans papa…« .
Mon grand-père, Joseph Schweitzer, rentrait de dix-huit mois de déportation : Queuleu, Natzweiler, Dachau.
A la veille de la commémoration des 80 ans de la Libération du Struthof, ce camp nazi de l’horreur, j’ai une pensée très émue pour mon grand-père, ses compagnons et notre famille qui comme tant d’autres a été meurtrie.
Né le 7 novembre 1911, notre héros de guerre, épouse en 1937, ma grand-mère Anna. De cette union, selon la formule consacrée, naissent trois enfants : Nicole, ma mère, René et Michèle. La famille réside à Moyeuvre-Grande au 19 rue du Moulin, Mulhenstrasse 19 pendant l’annexion nazie.
Mon grand-père accomplit son service militaire au sein, notamment, de la 2° compagnie du 94 régiment d’infanterie d’octobre 1931 à octobre 1932. En 1939-1940, il est caporal-chef au 168° régiment d’artillerie de forteresse, 7e compagnie de défense antiaérienne. Il est fait prisonnier le 21 juin 1940 à Forcelles-Saint-Gorgon (Meurthe-et-Moselle), puis libéré comme Mosellan. Le 8 avril 1942, il est employé comme ajusteur à l’usine de Rombas.
Membre depuis mai 1942 de la section de Moyeuvre-Grande du Parti communiste clandestin d’Alsace-Moselle, il forme un triangle avec Henri Arnold et Jean Schneider. Il s’occupe de la distribution de tracts et de journaux clandestins. Il est vraisemblablement surnommé « l’ours de Moyeuvre » à cette époque.
Le 13 octobre 1943, il se présente chez son oncle, Pierre Morbach, également résistant -groupe Mario-, afin d’aller chercher des tracts. Il est 19h30 lorsque mon grand-père sonne. Cependant, il ignore que son oncle a été arrêté la veille et que la Gestapo perquisitionne depuis 18 heures. Il est immédiatement arrêté.
Interné au SS-Sonderlager Feste Göben dans la caserne Il du fort de Queuleu (matricule 21, cellule 3), il est transféré le 20 mai 1944 au camp de concentration de Natzweiler (matricule 15117, Block 12). Le 9 juin, un transport le conduit au camp de concentration de Dachau, où il est enregistré le 11 (matricule 70198, Block 10). Joseph, mon grand-père, est libéré par les Américains le 29 avril 1945. En résidence sanitaire dans un hôtel situé au bord du lac de Constance, il est rapatrié le 1° juin via Mulhouse.
Le ministère des Anciens Combattants lui accorde le titre de déporté résistant le 1° juin 1951. Il est titulaire de la médaille militaire par décret du 19 septembre 1961 et de la croix du combattant volontaire par décret du 29 septembre 1961. Il obtiendra la Légion d’honneur à titre posthume. Décontenancés par les années d’étude de son dossier et jugeant cette décoration bien trop tardive, ses enfants la refusent.
« Tout cela pour la France » sont ses derniers mots le 1er mars 1970 lorsqu’il part rejoindre ses compagnons d’arme.
Son nom figure sur le monument aux morts de Moyeuvre-Grande (Moselle).