En 2005, lorsque Dieudonné a commencé à déraper et à exprimer son antisémitisme le plus abject, au grand dam de son ami Elie Semoun, nous avons commis dans Libération (à l’époque, Serge July y finissait son règne) la tribune « Nous sommes tous des juifs noirs ».
Nous rappelions que l’article 1 du code noir, cet Édit de Louis XIV fondant la conquête des futures colonies françaises, commençait par appeler les troupes du roi à exclure les juifs des futures contrées françaises si elles venaient en rencontrer.
Un juif, un noir !
Eric Morillot pour Les incorrectibles ! a réussi le coup médiatique de réunir le temps d’une courte vidéo les deux anciens compères Élie Semoun et Dieudonné.
Un buzz déjà d’anthologie qui nous permet de rappeler à tous les wokistes antisémites de notre époque que les juifs, les noirs et tous les autres humains devraient en finir avec les discours sur les races !
Malheureusement la partie est loin d’être gagnée : Elie Semoun a cédé à son amitié meurtrie mais il s’est fait piéger si l’on en croit les révélations de Jean-Marc Morandini : Dieudonné a tenu dans cette interview : « La mafia sioniste contrôle tout en France, les médias, le cinéma… La communauté d’Elie Semoun doit me demander pardon ».
Mais Dieudonné n »aura pas le dernier mot !
Voici donc notre tribune de 2005 « Nous sommes tous des juifs noirs », de quoi peut-être faire réfléchir Dieudonné ?
« Il existe un moyen très simple de clouer le bec à tous les Dieudonné qui essaient de mettre en concurrence les porteurs de mémoires des génocides et autres crimes contre l’humanité. Il suffit de relire l’article 1 du code noir par lequel, en 1685, Louis XIV instaura l’esclavage dans le royaume de France : «Voulons que l’édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire […] soit exécuté dans nos îles ; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois[…], à peine de confiscation de corps et de biens.»
L’acte même de fondation de l’esclavage intégra donc les juifs dans la communauté des exclus. Ce texte nous apprend ce que savent la majorité des juifs : les victimes des horreurs criminelles de l’Occident furent, sont et seront toujours solidaires par respect mutuel entre elles.
Devons-nous rappeler qu’en 2004, l’une des institutions les plus engagées dans la commémoration du génocide du Rwanda fut le Centre de documentation juive contemporaine ?
Le comportement de l’enragé Dieudonné pose aussi problème par les références qu’il convoque à tout va dans son délire croissant : il nous parle de Luther King alors que celui-ci disait en 1968 «Lorsque les gens critiquent le sionisme, ils veulent dire les juifs. Il s’agit d’antisémitisme.» Il prétend préparer un film sur le code noir ? Compte-t-il censurer l’article 1 dans son travail de réécriture de l’histoire ?
En cette année de commémoration des 60 ans de la libération des camps de la Shoah et de la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous appelons à un redoublement des efforts de partage des mémoires et d’entraide entre les victimes des crimes contre l’humanité dont se rendit complice notre civilisation, et au rejet vigilant des communautaristes.
Nous le disons fièrement : nous sommes tous des juifs noirs ! L’article 1 du code noir nous le rappelle celles et ceux qui, comme Dieudonné, ne se sentent pas cette double attache n’ont rien compris à l’histoire… »
Michel Taube