Arrestation arbitraire d’un écrivain. « On avait sûrement calomnié Boualem S., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin »…
On distrait les foules comme on peut au pays des dunes. Ce pays où distraire le peuple du marasme est un art triste ; cet endroit où se distraire en s’inventant un autre avenir est une prise de risque. Le pouvoir distrait par la bravade et le coup d’éclat tant la peur le dispute à l’ennui. On s’ennuie au pays des dunes. Ennui des paroles étouffées ; épuisement des marcheurs de l’esprit ; enlisement des énergies créatrices ; enfouissement des preuves du contraire. Le soleil se couche et, soudain, il fait froid.
Nulle chaleur dans l’ombre des geôles de l’article 87 du Code pénal désignant tout acte « terroriste » ou « subversif ». Le cerbère, chien servile, lève le menton ; enamouré de l’air martial du maître. Rodomontade du pouvoir. L’important étant de faire, encore une fois, encore un peu, illusion. À ses propres yeux tout au moins, tant il n’est même plus certain de convaincre qui que soit. Arrestation en catimini. Enfermement sans bruit. Disparition inquiétante. Questionnement alentour. Réponse via dépêche de presse de cour d’école, du type « bien fait pour vous »… C’est toujours la faute de l’autre. Cette fois-ci : l’écrivain. Rocailles blessantes des invectives. Sables mouvants des vantardises. Mirages et illusions en guise de ponctuation. Ne plus dire « Joseph K. » dans la nuit du pays des dunes ; dire désormais « Boualem S. » !
Dans cette nuit qui n’est que celle de la terreur, les rêves n’ont rien de littéraire. Dommage. Se souvenir du conseil du grand poète des Lumières de l’Orient, Djalâl-Od-Dîn Rûmî : « Quand tu te bats avec les ténèbres de la nuit / Déchire par ton esprit le sein de la nuit. » Et – enfin –, aimer. Car – enfin – qui doute de ne plus pouvoir se battre cède alors tout entier à la peur. Nous étions pourtant prévenus : « et le doute amène l’angoisse, et le malheur ne tarde pas. Ati avait perdu le sommeil et pressentait d’indicibles terreurs » anticipait déjà Boualem S.
Circonvolutions
Terreur d’un peuple d’abord dont tant se voient contraints de fuir la terre natale et traverser la mer. Terreur d’un président ensuite face à l’évidence d’une faillite politique et morale et qui veut laisser croire – pense-t-il – tenir la situation sous contrôle en précisant lui-même, il fut un temps, que six millions de ses compatriotes vivent désormais de l’autre côté de la mer. Bel aveu d’une débandade en règle ! Et un constat d’Antoine de Saint Exupéry dans sa Lettre à un otage, qui trouve ici une forme d’avertissement : « c’est toujours dans les caves de l’oppression que se préparent les vérités nouvelles ». Caves, geôles, souterrains… Prisonniers ou otages : même combat !
Vaine politique. Piètre agitation. Tellement pathétiques et misérables circonvolutions d’un pouvoir anxieux, tant il est permis de croire que nul, au pays des dunes, n’est dupe de l’écart entre eux et ceux qui dirigent. Pays si riche de ses horizons et de ses beautés ; de ses ressources ; de la fierté de son peuple et de sa diversité culturelle ; le pays des dunes mérite d’autres « guides » qu’un leader maximo élu à hauteur d’étranges scores de potentats à gants blancs ; où toute action est pesée à l’aune de la doxa politique quand ce n’est pas à celle d’un dogme crépusculaire. « Quand vient le jour, nous nous demandons / Où trouver la lumière / Dans cette ombre qui sans fin s’étire ? / Le poids de nos pertes, une mer à franchir » déclamait la poétesse Amanda Gorman, le 20 janvier 2021 à la tribune d’investiture d’un président des Etats-Unis – c’était en 2021 –. Une idée peut-être aussi pour la contrée qui nous occupe aujourd’hui…
Au moins 2084 raisons d’aimer…
Mais allons plus encore au cœur du sujet. Voilà donc un pouvoir qui s’en prend à un écrivain. Quelle reconnaissance de la puissance de l’esprit ! De la puissance de l’écrit ! Rien d’original. Rien que de très banal, tant les encyclopédies sont remplies de noms d’auteurs devenus célèbres d’avoir été intimidés, mis à l’index, poursuivis, bâillonnés, bannis ou enfermés, torturés, quand ils ne furent pas (quand ils ne sont pas) tout simplement assassinés.
Un article du Code pénal d’un côté, pour enfermer et, d’un autre côté, 2084 déjà là – année fictive certes mais il fallait bien une date –, et qui résonne tant par analogie avec un célèbre précédent aux oreilles de la République des Lettres. Allons-y donc pour 2084, constat de soumission certes, mais aussi tout à l’opposé symbole de résistance et de combats, et gageons que ce côté-là garde autant de raisons d’aimer.
Raisons d’aimer. Reliance entre intellect et émotion ; la raison trouve ses raisons dans la confiance en soi et la fierté bien comprise de participer aux côtés des autres, d’y prendre toute sa place et de laisser autour de soi la place à l’altérité. Celui qui est différent trouve la place qui lui est propre dans sa différence même pour peu que, confiance pour confiance, soit admis de part et d’autre l’idée d’une humanité comme bien commun. Cette humanité qui écrit, qui lit, qui se faisant « donne à respirer » comme l’a rappelé Antoine Compagnon lors de sa leçon inaugurale au Collège de France ; littérature qui fait aimer, qui soigne et libère. Liberté pour les écrivains, pour les citoyens, les peuples. Liberté pour Boualem S.
Olivier Peraldi, Ecrivain
https://editionsorizons.fr/auteur/olivier-peraldi/