Outre-Mer
09H34 - mardi 26 novembre 2024

Lettre ouverte de Marie Laurence Delor, Martiniquaise, à la presse de métropole

 

Le rapport du Martiniquais à la presse hexagonale relève tout à la fois d’un principe de réalité, tirage et audience, et, sans verser dans l’argument convenu de la « colonialité », de l’effet prestige.

La presse écrite et audiovisuelle hexagonale, tout au moins celle dite de référence, à grand tirage ou à forte audience est pourvoyeuse, au niveau symbolique, d’un surplus de sens, de valeur – le « pouvoir symbolique » tel que défini par P. Bourdieu.

C’est ce constat qui justifie notre interpellation : s’il est bien vrai que vous avez, comme toute presse, une responsabilité vis-à-vis de vos lecteurs, celle-ci ne doit-elle pas être plus vigilante lorsque certains subissent, comme c’est actuellement le cas depuis plus de deux mois en Martinique, une crise sécuritaire majeure ? Et ne sommes-nous pas en droit d’exiger une information plus respectueuse des faits ?

Autrement dit, qui fasse la part des choses entre, d’une part, la petite minorité qui vandalise, brûle, pille et rackette tout en se proclamant pacifiste en lutte contre la cherté de la vie, d’autre part, la majorité qui condamne, les nombreuses victimes et les conséquences, sociales, économiques et écologiques.

Permettez-moi, en prolongement de cette interrogation un petit exposé de faits, vérifiables sur le terrain, suivi de trois liens illustrant la réalité de l’urgence sécuritaire aujourd’hui dans notre territoire.

 

1. Exposé de faits

1.1 La première observation est que la pauvreté et la précarité créent des frustrations, des ressentiments et donc de fortes tensions sociales ; mais les tensions sociales même fortes ne peuvent être assimilées à une crise sociale, autrement la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion seraient au même niveau de troubles que nous. On a fabriqué en définitive une crise sociale. « On se bat, disent-ils, parce que l’Etat français veut nous affamer avec la complicité des élus et des syndicats ». Cet argument-slogan résume les trois procédures de fabrication de crise (v. Didier HEIDERICH et Natalie MAROUN) :
a/ la première, l’hypertrophie de l’événement, « on meurt de faim en Martinique »,
b/ la deuxième, la mobilisation de l’émotion par une rhétorique de la victimisation et de l’intention génocidaire « c’est l’Etat français colonialiste et raciste qui nous affame avec la complicité des élus et des syndicats »
c/ la troisième procédure, les mesures d’urgence : « l’alignement de prix de tout l’alimentaire avec ceux de l’hexagone » que seule notre association avec ses méthodes est en mesure d’obtenir ».

Cette polarisation de l’attention et du débat sur une mise en scène de « crise sociale » servait, au final, à masquer quelque chose, dans le contexte dégradé actuel, de beaucoup plus inquiétant par son impact et sa prégnance : le danger sécuritaire.

1.2 La deuxième observation est que les réseaux sociaux et les médias d’ici et de l’hexagone ont beaucoup œuvré à la fabrique du « messie », de celui qui mettrait fin à l’injustice. Les administrations locales et d’Etat ont validé en faisant d’un individu interlope, consacré par les réseaux sociaux et certains médias, un interlocuteur privilégié. Ils ont ainsi participé à la fabrication d’une illusion, d’une fiction de représentativité. 

1.3 La troisième observation est qu’il y a urgence sécuritaire parce que la vraie crise est sécuritaire et met en danger l’état de droit, l’économie et l’environnement. Les causes sont sociales, éducatives et géostratégiques. L’enjeu c’est la capacité ou non de rétablir l’autorité de l’Etat et du politique face à cette tentative d’imposer le modèle de la rue. Si cette autorité n’est pas rétablie au plus tôt, alors les Martiniquais, toutes classes sociales confondues, seront de plus en plus nombreux par peur ou/et par intérêt à pactiser avec le diable, considérant que l’Etat est trop faible pour les protéger et/ou préserver leurs intérêts.

 

2. Liens illustrant la réalité de l’urgence sécuritaire

 

Marie Laurence Delor, Professeur de philosophie, Fort-de-France

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