Opinion
08H05 - mardi 26 novembre 2024

Roumanie : La victoire de Calin Georgescu, un écho assourdissant. La tribune de Sofiane Dahmani

 

Dans l’histoire européenne contemporaine, certaines élections ne se contentent pas d’élire, elles effraient. Le premier tour de la présidentielle roumaine, marqué par la percée de Calin Georgescu, admirateur de Vladimir Poutine et chantre d’un nationalisme pro-russe, suscite ce genre de malaise. Non seulement parce qu’il capte une colère populaire grandissante, mais aussi parce qu’il résonne comme un avertissement pour le reste de l’Europe.

Georgescu, personnage obscur il y a encore quelques mois, incarne une rupture brutale avec les élites traditionnelles de Bucarest. Sa rhétorique populiste, nourrie de défiance envers l’Union européenne et l’OTAN, s’aligne parfaitement avec les forces centrifuges qui menacent déjà d’éclater le consensus européen. Mais ce que cette élection révèle, au-delà des discours, c’est un pays profondément fracturé.

La Roumanie, miroir brisé

La Roumanie est, par bien des aspects, une terre de paradoxes. Adhérente à l’Union européenne depuis 2007, elle demeure un des États membres les plus pauvres et les plus inégalitaires. Tandis que Bucarest se couvre de gratte-ciels et rêve d’incarner la Silicon Valley de l’Est, une majorité rurale s’enfonce dans l’oubli. C’est dans ces interstices que Georgescu a construit son récit : celui d’un peuple trahi par ses dirigeants, vendu à Bruxelles et abandonné à un libéralisme destructeur.

À première vue, il serait tentant de réduire ce succès à une vague réactionnaire, semblable à celle qui a propulsé Donald Trump aux États-Unis ou Marine Le Pen. Mais ce serait ignorer les spécificités roumaines. Ici, la mémoire collective est hantée par la dictature de Nicolae Ceaușescu, dont Georgescu emprunte des accents dans son appel à un retour aux « vraies valeurs » roumaines.

Une Europe sourde

Mais ce qui choque, ce n’est pas tant l’ascension de Georgescu que l’indifférence apparente des institutions européennes. Depuis des années, l’UE ferme les yeux sur la montée des forces populistes à ses frontières. Elle condamne les atteintes à l’État de droit en Hongrie ou en Pologne sans jamais se demander si sa propre architecture n’a pas alimenté cette défiance. En Roumanie, l’Union européenne est perçue à la fois comme un protecteur et comme un oppresseur. L’austérité imposée au lendemain de la crise de 2008, les scandales de corruption impliquant des fonds européens, et le mépris affiché par certaines élites occidentales envers l’Est ont miné la foi des Roumains dans le projet communautaire.

Georgescu, en politicien habile, a su capter cette colère et la transformer en une arme redoutable. Mais son succès pose une question vertigineuse : que reste-t-il à l’Europe si ses marges se retournent contre elle ?

Une ombre sur le futur

L’avenir de la Roumanie, et peut-être de l’Europe, se joue dans les semaines à venir. Si Georgescu remporte le second tour, son mandat pourrait inaugurer un basculement de la Roumanie vers la sphère d’influence russe, à l’instar de la Hongrie de Viktor Orbán. Ce scénario, aussi improbable qu’il puisse paraître, serait un désastre stratégique pour l’Union européenne.

Mais au-delà de la géopolitique, c’est l’âme même de la Roumanie qui est en jeu. Georgescu promet de restaurer la grandeur du pays, mais à quel prix ? Comme tant de populistes avant lui, il risque de plonger son peuple dans un isolement économique et politique dont il ne pourra se relever.

Dans ce contexte, l’Europe ne peut plus se contenter de regarder de loin. Si elle veut éviter un nouvel éclatement, elle doit se réinventer, non pas en imposant ses valeurs, mais en écoutant réellement ses périphéries. Sinon, la victoire de Georgescu pourrait bien être le prélude d’un effondrement plus large.

Ainsi, la Roumanie, ce petit pays de 19 millions d’habitants, devient le théâtre d’un drame qui dépasse ses frontières. Une élection, un homme, mais des conséquences qui résonnent dans toute l’Europe. La leçon est brutale : le désespoir des marges finit toujours par s’inviter au centre.

 

Sofiane Dahmani, Chroniqueur