Il est des hommes politiques qui savent parfaitement ce qu’ils font lorsqu’ils mettent le feu aux poudres. Donald Trump, incontestablement, en fait partie. L’annonce qu’il a faite le 26 novembre, confirmant son intention d’imposer des droits de douane de 25 % sur tous les produits en provenance du Canada et du Mexique, ainsi qu’une hausse de 10 % sur les importations chinoises, n’est pas qu’un simple geste de politique économique. Non, c’est une véritable déclaration de guerre. Une escalade calculée, un pari risqué, mais aussi une manœuvre habile pour se positionner dès le début de son second mandat. Car derrière ce tour de force rhétorique se cache une stratégie bien plus profonde, à la fois intérieure et internationale.
Trump se présente une nouvelle fois comme le défenseur des intérêts américains, armé de sa conviction inébranlable que le protectionnisme est la seule voie qui vaille. Et, pour ce faire, il reprend ses vieux chevaux de bataille : la lutte contre l’immigration illégale, et la guerre contre les opiacés, en particulier le Fentanyl, que l’administration Trump a déjà identifié comme un fléau majeur pour la santé publique. Mais là où l’ex-président va plus loin qu’un simple message de campagne, c’est qu’il fait de cette guerre contre la drogue et l’immigration un argument direct pour justifier l’augmentation des taxes douanières sur ses voisins immédiats.
Le Mexique et le Canada, premiers visés, sont des partenaires commerciaux vitaux pour les États-Unis, au point d’être au centre de l’accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA), une version révisée de l’ALENA. Mais Trump, fidèle à sa posture de bulldozer politique, n’hésite pas à bousculer ces relations en exigeant des taxes astronomiques. Le Canada, dont les exportations vers les États-Unis représentent environ 75 % de son commerce extérieur, et qui joue un rôle essentiel dans l’approvisionnement énergétique américain, voit là un défi de taille. Le Mexique, quant à lui, bien qu’il ait cherché à apaiser la situation après la réélection de Trump en promettant qu’il n’y avait « aucun motif de préoccupation », se trouve, une fois de plus, dans la ligne de mire d’un président américain qui cherche à se faire entendre avant tout.
Derrière la stratégie de Trump, il y a un message clairement destiné à ses électeurs. Ceux qui l’ont porté à la Maison Blanche une première fois, dans des États dévastés par la désindustrialisation, sont ses priorités. Le discours est simple : les États-Unis ont été trahis par des accords commerciaux défavorables et ont payé le prix fort des crises sociales, qu’il s’agisse de l’immigration ou de l’épidémie d’opiacés. Le candidat Trump, réélu, veut renverser la table, remettre les choses en ordre en frappant là où cela fait mal. La hausse des droits de douane est pour lui une arme contre ces fléaux, un levier pour forcer le Canada et le Mexique à changer de politique en matière de drogue et d’immigration.
Mais il est des armes qui, si elles peuvent frapper fort, ont aussi des effets secondaires. En attaquant ses voisins immédiats, Trump prend le risque de relancer une guerre commerciale d’envergure. Et cette fois, les enjeux sont bien plus importants. La Chine, bien sûr, a d’ores et déjà réagi. À travers un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Pékin a lancé un avertissement sans ambiguïté : « Personne ne gagne une guerre commerciale. » Ce qui, dans le langage diplomatique chinois, revient à dire qu’ils ne se laisseront pas faire. Les taxes sur les produits chinois, déjà élevées sous le précédent mandat de Trump, sont désormais destinées à être augmentées de 10 %. Cela ne manquera pas d’alimenter la fronde en Asie, en Europe, et même au sein des États-Unis, où les industries exportatrices risquent de souffrir d’une telle politique.
Le Canada, de son côté, a réagi de manière plus mesurée, mais avec fermeté. Justin Trudeau a rappelé que les relations commerciales entre les deux pays étaient « équilibrées et mutuellement bénéfiques », et qu’elles étaient particulièrement cruciales pour la classe ouvrière américaine, qui profite des exportations canadiennes. À travers ce rappel, le gouvernement canadien tente de rappeler à Trump que les États-Unis ont tout à perdre dans cette escalade. L’approvisionnement énergétique, notamment en pétrole et en gaz naturel, demeure un axe stratégique où le Canada joue un rôle déterminant. À force de vouloir isoler ses voisins, Trump pourrait bien se rendre compte que ce sont les États-Unis qui risquent d’être les plus affectés à long terme.
Cependant, il ne faut pas sous-estimer la stratégie de Trump. Ce dernier a, dans son premier mandat, montré à quel point il était capable de manier la diplomatie du rapport de force, tout en surfant sur une popularité interne inébranlable. Les taxes douanières peuvent avoir un effet bénéfique à court terme pour certains secteurs économiques, comme l’industrie automobile ou l’acier, mais il faut bien se garder de croire qu’elles sont sans conséquences. En effet, les industries américaines elles-mêmes sont dépendantes des chaînes d’approvisionnement mondiales, et un conflit commercial prolongé pourrait entraîner des hausses de prix pour les consommateurs américains. Ce paradoxe économique est la grande faiblesse de l’approche de Trump : même si ses électeurs peuvent se réjouir de la mise en place de mesures protectionnistes, les effets de ces dernières risquent d’être douloureux à terme.
Et la Chine, bien qu’elle soit en position de force pour négocier, pourrait avoir des moyens de répliquer qui risquent de déstabiliser davantage le commerce mondial. Les États-Unis, déjà confrontés à une dette colossale et une économie de plus en plus interdépendante avec le reste du monde, pourraient bien voir leur place sur la scène économique mondiale fragilisée. Trump, en tentant de ramener l’économie américaine dans un repli nationaliste, oublie peut-être que, dans ce monde globalisé, les coups d’isolement sont souvent les plus risqués.
L’issue de cette nouvelle offensive commerciale de Donald Trump est incertaine. Il est probable que ses premiers mois à la Maison Blanche seront marqués par cette intensification des tensions économiques. Mais une chose est sûre : Trump est un maître du jeu. Et même si ce jeu de dupe peut paraître suicidaire à certains, il risque, une fois encore, de réussir à tromper son monde et à en sortir gagnant, du moins à court terme. Mais à quel prix pour l’économie mondiale et, surtout, pour l’unité fragile d’un pays qui se trouve déjà divisé sur bien trop de fronts ? Là réside la véritable question.