La politique moderne se joue désormais sur un terrain où la viralité fait office de stratégie électorale et où l’apparence l’emporte sur les idées. Ce phénomène, devenu incontournable avec l’essor de TikTok, se révèle avec une acuité nouvelle dans plusieurs élections récentes, où la capacité à capter l’attention des électeurs, plus que les propositions politiques, semble être la clé du succès.
Prenons l’exemple de la Roumanie, où le candidat à la présidence Călin Georgescu a intelligemment utilisé TikTok pour mobiliser les jeunes électeurs. À l’approche des élections, il a posté des vidéos où il parlait de valeurs conservatrices et de virilité traditionnelle, un message qui a résonné particulièrement chez une jeunesse avide de repères. Ses vidéos, entrecoupées de références à la culture roumaine et aux racines nationales, ont créé une dynamique virale. Si ses idées étaient en réalité relativement classiques, c’est bien sa capacité à les transmettre sous un format court et dynamique qui a captivé une partie de l’électorat, bien plus que ses rivaux, parfois déconnectés des codes de cette nouvelle ère. Georgescu, en utilisant TikTok, a compris que la politique n’était plus une affaire de discours longuement réfléchis, mais une affaire de timing et de visuel.
À l’échelle européenne, Jordan Bardella, lors des élections européennes, a parfaitement compris l’enjeu d’une campagne tournée vers les jeunes, en utilisant TikTok pour défendre son parti, le Rassemblement National. Plutôt que de se cantonner aux traditionnelles promesses économiques ou sociales, Bardella a axé une partie de sa communication sur une série de vidéos où il dialoguait avec des influenceurs ou des jeunes militants. Ces échanges, souvent informels, ont permis de créer un lien direct et immédiat avec des électeurs qui, au lieu de s’attarder sur des analyses politiques complexes, recherchent des repères dans l’instantanéité des messages.
L’ascension de Donald Trump dans la course présidentielle de 2024 n’échappe pas à cette règle de la viralité. Bien que son image de « daddy » controversé, entre anti-establishment et populisme, continue de défrayer la chronique, Trump a vu dans TikTok un moyen de contourner les médias traditionnels qui le censuraient. Lors de sa campagne, il a collaboré avec des TikTokers et des créateurs de contenu qui ont loué sa virilité et son approche « macho » de la politique, contrastant avec l’image d’un Joe Biden et de Kamala Harris plus conformistes. Les vidéos montrant Trump en pleine forme physique, à la fois influentes et stratégiquement placées, ont été des succès viraux, parlant directement aux jeunes électeurs sceptiques face à l’establishment politique.
Il n’est pas surprenant que d’autres figures politiques, comme l’Argentin Javier Milei, aient su naviguer habilement dans ces eaux numériques. Lors de sa campagne, Milei a non seulement distribué des discours enflammés sur l’importance de l’individualisme, mais il a aussi amplifié ses idées grâce à des vidéos virales qui font appel à l’énergie brute, à la révolte contre le système. Comme Trump, Milei a fait appel à des codes visuels et des messages courts pour capter l’attention des jeunes en quête de leaders anti-système.
Mais TikTok n’a pas seulement profité aux figures politiques de droite ou conservatrices. La gauche, aussi, utilise l’application à ses fins. C’est le cas de nombreux jeunes militants de partis comme La France Insoumise, qui se sont emparés de la plateforme pour défendre des idées progressistes sous un format dynamique. Les vidéos, plus que des discours, se sont imposées comme des vecteurs de mobilisation.
Ce qui est indéniable, c’est que TikTok est devenu un acteur incontournable de la scène politique, particulièrement pour les jeunes électeurs, qui ne ressentent plus l’envie ou le temps de se plonger dans des discours politiques interminables. L’image et la viralité ont pris le pas sur la réflexion. Là où, autrefois, le candidat se mesurait à la hauteur de ses idées, aujourd’hui, il se mesure à sa capacité à dominer l’espace numérique, à capter l’attention avec des vidéos percutantes, mémorables et engageantes.
Assurément, la politique de demain se fera sur TikTok. Mais il est tout aussi évident que cette évolution n’est pas sans danger. Quand la politique devient une simple affaire de « buzz », de gestuelles étudiées et de petites phrases faciles à retenir, qu’advient-il de la réflexion profonde, des débats argumentés et des visions à long terme ? La politique devient un jeu de popularité, où l’essentiel cède la place à l’apparence. TikTok n’est pas seulement un outil de communication, c’est un accélérateur de la superficialité politique. Et cela, dans un monde où l’image vaut parfois plus que la substance, n’est pas sans conséquence pour la démocratie.