Derrière le volet militaire de la guerre russe contre l’Ukraine, on se prépare politiquement à l’arrivée de Donald Trump à Washington. Le président ukrainien doit convaincre le 47e président des États-Unis de ne pas le sacrifier. L’avenir d’une Ukraine indépendante dépend de l’appui américain, et les efforts d’Emmanuel Macron d’enrôler les Européens pour compenser un hypothétique retrait américain ne pourraient suffire.
On voit tous les jours les échanges terribles de missiles entre deux armées, l’ukrainienne et la russe, avec toujours ce surplus de létalité employée par l’armée russe. Vladimir Poutine, dans ces nombreuses interventions publiques, dont jeudi à Astana au Kazakhstan où il s’est rendu sans aucune peur d’être arrêté, ne cache pas ce penchant. Le président russe se dit « toujours un peu désolé » d’avoir à faire ce que tout dirigeant raisonnable devrait faire selon lui : bombarder en étant obligé de ne pas tenir compte des civils morts. L’armée ukrainienne semble beaucoup plus militaire que la sienne dans ces cibles, hormis lors des raids de drones sur le Kremlin. L’ère des bombardements symboliques est revenue, surajoutée aux tirs véritablement de combat. En effet, lors de la Deuxième Guerre mondiale, les Britanniques ont bombardé Berlin en 1940 pendant le Blitz.
Malgré cela, les Européens n’ont pas encore forgé leur volonté commune autour de l’Ukraine, et sont en train de se diviser sur la question d’Israël. Nos certitudes d’aujourd’hui peuvent se disloquer entièrement, même en Europe. En Pologne, les deux camps politiques se retournent contre l’Ukraine qu’ils ont pourtant soutenue matériellement : le parti nationaliste PiS, actuellement dans l’opposition, ainsi que le gouvernement de coalition actuel, mais avec moins de virulence, raniment deux dossiers : celui du massacre de Volhynie (des dizaines de milliers de Polonais ethniques massacrés par des miliciens nationalistes ukrainiens sous couvert de l’armée allemande en 1943-1945) pour lequel ils attendent des excuses ; couplé au dossier agricole où les paysans polonais bloquent non seulement l’entrée des produits agricoles ukrainiens mais aussi le passage vers l’Ukraine d’armements !
Kiev et Varsovie se dirigent droit vers la brouille, encore évitable cependant. L’Allemagne de la coalition Scholz est affaiblie. Elle louvoie entre la satisfaction de contribuer à l’effort de guerre ukrainien mais sans fournir les missiles Taurus, et la peur d’une opinion publique nostalgique du confort du flux de gaz russe et qui voudrait faire volte-face.
L’ancien chef d’état-major polonais, Rajmund Andrzejczak s’exprimant dans les colonnes du Figaro (vendredi 29 novembre 2024), a trouvé le nerf de la guerre : le pétrole et Trump. Celui-ci veut massivement relancer la production de pétrole américain, ce qui ferait s’effondrer la rente pétrolière russe qui était redevenue conséquente et finançait la guerre russe. Lors du premier mandat Trump, se souvient le général Andrzejczak, « J’ai observé Trump dire à Angela Merkel de ne pas négocier Nord Stream 1 et 2 parce que cela donnait de l’argent aux Russes pour s’armer. Il était furieux qu’elle refuse et demande un nouveau parapluie de sécurité ! » Ainsi, l’arrivée de Trump n’est pas forcément un désastre pour la cause ukrainienne, selon le général, et certains diplomates. Et Andrzejczak d’ajouter que la Chine est en embuscade : si l’Ukraine est sacrifiée, alors Taïwan peut être envahi. Les crises concordent, les dirigeants européens sont lents à l’admettre : Ukraine et Taïwan.
Donald Trump lui-même maintient le grand mystère. Toujours selon certains diplomates rencontrés à Paris, le président-élu est transactionnel, et cherche à sonder la relation Vladimir Poutine-Xi Jinping : quel degré de dépendance? Car Trump ira briser des lances contre l’hégémonisme chinois, et aurait souhaité le soutien de Poutine. S’il l’obtenait entièrement, alors l’Ukraine souffrirait des pertes territoriales irréversibles dans un deal favorable à Poutine qui se serait retourné contre Xi Jinping. Hypothèse logique, mais peu convaincante selon moi. Imaginer Vladimir Poutine opérer une volte-face aussi grande, en trahissant un puissant dirigeant qui le respecte, Xi Jinping, pour revenir vers un Trump qui risque de ne plus trouver son homologue, conquérant à la peine, aussi « talented » qu’autrefois.
Le dénouement éventuel passera éventuellement par le pétrole américain, et l’attitude de protectionnisme de Trump. Le 47e président sera obligé d’écrire l’histoire géopolitique de l’Europe.