Opinion
12H06 - samedi 30 novembre 2024

La France malade de ses absences : 3 millions de citoyens sans mutuelle, symbole d’une fracture sociale béante. Tribune de Sofiane Dahmani

 


Dans la France de 2024, près de trois millions de personnes vivent sans mutuelle santé, selon les dernières études, alors que 733 000 bénéficient de la Complémentaire Santé Solidaire (CSS), souvent insuffisante pour couvrir les besoins réels. Ce constat brutal révèle un système où l’accès aux soins dépend désormais du portefeuille, reléguant les plus fragiles à des choix impossibles : se soigner ou se nourrir.

 

L’illusion d’une couverture universelle

La France aime à se penser généreuse et égalitaire. Mais la réalité est tout autre. Derrière les discours officiels se cache une inégalité criante : le droit à la santé est devenu un privilège. Ceux qui ne peuvent s’offrir une mutuelle doivent renoncer à des soins essentiels. En 2024, cette exclusion de masse illustre un échec retentissant du modèle social français.

Le décalage entre les chiffres annoncés et les réalités vécues est frappant. Si 12,6 % des Français bénéficient d’une aide à la complémentaire santé, nombreux sont ceux qui tombent dans les failles administratives : travailleurs précaires, sans-domicile-fixe ou personnes en situation irrégulière. Ces oubliés du système ne sont pas des abstractions, mais des vies en suspens, confrontées à l’indifférence d’un système saturé et complexe.

 

Les origines de la fracture : précarité et démission politique

Cette situation trouve ses racines dans une précarisation croissante. Aujourd’hui, plus de 20 % des travailleurs modestes perçoivent des aides telles que la prime d’activité, mais restent sous le seuil de pauvreté, incapables de financer une mutuelle pourtant essentielle. Les causes sont multiples : explosion des contrats précaires, montée du chômage et coût exorbitant des complémentaires santé. Les démarches administratives compliquées viennent aggraver le phénomène.

Face à cela, l’État brille par son immobilisme. Si des dispositifs comme la CSS existent, ils ne couvrent pas suffisamment les besoins, et les réformes récentes n’ont fait qu’accroître la bureaucratie, éloignant les plus fragiles de leurs droits. Les responsables politiques, eux, préfèrent détourner le regard, préférant des annonces symboliques à des mesures structurelles.


Un système de santé à deux vitesses

Cette situation donne naissance à un système à deux vitesses : d’un côté, ceux qui peuvent payer, de l’autre, ceux qui renoncent. Les consultations chez le dentiste ou l’ophtalmologue, pourtant essentielles, deviennent inaccessibles pour les plus pauvres.

En 2022, près de 39 000 personnes en Occitanie ont dû solliciter des hébergements d’urgence, révélant l’ampleur de la détresse sociale dans certaines régions.

Ce gouffre se creuse davantage avec des populations particulièrement vulnérables : les personnes âgées aux faibles pensions, les familles monoparentales ou les jeunes actifs. Pour ces catégories, chaque dépense de santé devient un luxe inatteignable, un choix entre survie et dignité.

 

Vers une solidarité réelle : le défi politique

Comment sortir de cette impasse ? Il ne suffit plus de discours emphatiques. Il faut des actions concrètes : simplification des démarches, élargissement des critères d’éligibilité à la CSS, revalorisation des aides et surtout, un retour à l’esprit fondateur de la Sécurité sociale : « chacun contribue selon ses moyens, reçoit selon ses besoins ».

Seule une volonté politique forte pourra inverser cette tendance. La santé ne doit plus être une marchandise, mais un droit universel, garanti à chaque citoyen, quelle que soit sa condition.

Ces trois millions de Français sans mutuelle ne sont pas de simples statistiques. Ils sont le reflet d’une société qui trahit ses idéaux et abandonne les siens. Tant que l’accès aux soins restera une question de pouvoir d’achat, la promesse républicaine d’égalité restera un vœu pieux. Pour ces invisibles, pour notre dignité collective, il est temps d’agir.

 

Sofiane Dahmani, Chroniqueur