Monsieur le Directeur général des outre-mer,
Mon Général,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les officiers, sous-officiers, militaires et policiers.
« Les valeurs, sans la force, ne sont que du vent ».
Ainsi Thomas HOBBES résumait-il, en 1651, le rôle de l’État de droit : garantir un certain nombre de valeurs fondamentales qui nous rassemblent.
Et pour garantir ces valeurs, seul l’État est doté du pouvoir d’exercer la contrainte sur les corps.
Cela veut dire deux choses essentielles, que je veux partager avec vous aujourd’hui :
En premier lieu, cela signifie que l’exercice légal de la contrainte sur les corps n’est possible que par l’État, et par nul autre groupe ni individu.
Il n’est pas possible de mettre sur un même plan et de renvoyer dos à dos la force exercée par l’État et la violence que la Martinique a connue ces dernières semaines.
Il n’y a pas d’équivalence entre les deux, mais une relation à sens unique.
Non, ce n’est pas l’arrivée des gendarmes mobiles ou des CRS qui a envenimé le conflit social ; mais c’est l’envenimement du conflit social qui a entraîné l’arrivée des gendarmes mobiles et des CRS .
Non, ce n’est pas l’emploi de la force sur les parkings de centres commerciaux qui a entraîné les jets de projectiles de délinquants : ce sont ces jets de projectiles qui ont entraîné la dissipation de l’attroupement par l’usage de grenades lacrymogènes par les forces de sécurité.
Non, ce n’est pas l’interpellation des auteurs de crimes et délits qui a déchaîné le pillage des commerces de centre-ville, ici ou là : c’est bien le pillage des commerces et les entraves à la circulation qui ont rendu nécessaire l’interpellation des forcenés.
N’inversons pas l’ordre des choses. Ne faisons pas croire à la population que vous et les groupes de voyous, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, et que la faute appartient « à celui qui a commencé ». Ou alors, c’est la fin de l’État, et c’est donc la fin du droit et de la Martinique tel que nous la connaissons.
Je vous le dis, avec détermination et tout le poids de ma fonction.
Dans le maintien de l’ordre, il n’y a aucune égalité possible.
Vous êtes la force. Vous êtes la force qui fait que ces valeurs ne sont pas que du vent.
Mais si les valeurs, sans la force, ne sont que du vent, la force, sans les valeurs, ne serait plus que violence.
Et c’est précisément la deuxième signification de cette citation de Thomas HOBBES.
Ce mot de « force » est d’un poids particulier. Je n’ai jamais aimé le mot « violence », même avec le qualificatif de « violence légitime ». Car la violence suppose un manque de maîtrise. Ce mot remue au plus profond de nous-mêmes des instincts bestiaux dangereux.
Au contraire, ce mot de force suppose la réflexion, la maîtrise, la détermination, le contrôle. La violence est ouverte, gratuite : elle trahit un déchaînement presque aveugle. La force, elle, est engagée, décidée, voulue.
PASCAL disait qu’il fallait « rendre fort ce qui est juste, et juste ce qui est fort ». J’ai dit que vous étiez la force. Vous êtes donc ce qui doit toujours rester juste. Vous êtes l’exemplarité, la droiture, la certitude tranquille de faire ce que vous devez, sans jamais aller au-delà.
Et je mesure à quel point, après ces presque 3 mois de climat insurrectionnel, d’émeutes, vous avez été, là aussi, exemplaires.
A votre courage répondait votre maîtrise de vous-mêmes.
A votre engagement, dans les charges, les déblaiements de barrages, les démantèlements de points fixes, répondait votre capacité à attendre ; à subir ; à réfléchir pour mieux manœuvrer, ne pas déborder, ne pas se laisser gagner par l’émotion.
Mais, voilà. Vous êtes policiers, et militaires. Vous n’êtes pas seulement vous-mêmes, Pierre, Paul et Jean, personnes humaines ; car alors on vous mettrait sur un pied d’égalité avec les voyous d’en face, qui sont aussi des personnes humaines. C’est à la fois un immense privilège d’être seul légitime à l’exercice de la force, et une charge écrasante, car on n’attend pas de vous les mêmes choses qu’on attend d’un simple citoyen.
Vous êtes, en plus d’être des hommes et des femmes, des policiers et militaires. Vous êtes le bras de l’État, et vous en êtes responsable.
Vous ne répondez pas avec les mêmes armes et les mêmes modes opératoires que les bandits. Si vous le faisiez, vous commenceriez à étioler le lien de confiance qui vous unit à la population.
Cette parole, celle de l’État, celle qui protège tous les Martiniquais, c’est la mienne, c’est celle de vos chefs, c’est la vôtre.
Ce n’est pas une parole personnelle.
Ce n’est pas pour vos chefs ni pour moi, Jean-Christophe Bouvier, avec mes qualités et mes défauts, que vous tenez, jour et nuit, sur les barrages, dans les casernes attaquées, sur les parkings.
Vous ne faites pas aussi noblement votre métier parce que vous consentez à obéir à quelqu’un, un chef de bande ou un leader.
Vous le faites parce que vous savez que vous le faites pour les Martiniquais, pour ce coin de France qui mérite, ici comme ailleurs, la protection de l’État.
Vous le faites pour cette île, ses forêts et ses mornes, ses habitants, l’esprit qui y habite et qui la rend si belle. Vous le faites parce que vous portez au fond de vous, d’où que vous veniez, de Martinique, des Outre-Mer, de l’hexagone, vous portez au fond de vous l’amour de ce coin de terre et de ceux qui y habitent, qui vous attendent, qui vous espèrent, qui vous recherchent.
Il peut, il doit même y avoir de la fatigue chez vous. De l’écœurement, peut être. De la lassitude, sûrement. Des frustrations ; des conflits de personnes qui peuvent se renforcer, la tension aidant.
Mais ce n’est pas pour votre collègue ou votre chef, pour le préfet ou pour la procureure que vous faites votre travail, et que vous continuerez de le faire au mieux de vos capacités.
C’est pour la Martinique.
Pour elle, pour l’un des plus beaux – mais serait-il le plus moche que cela n’y changerait rien – coins de France que je connaisse, je vous demande de tenir.
Tenez bon ;
Tenez ferme ;
Soyez fidèles.
En tenant votre parole, celle qui vous a fait jurer de tenir le rang de l’État, et celle qui vous a fait jurer d’être exemplaires, vous êtes l’honneur de la République.
Et vous me rendez immensément fier de la servir.
Merci.