C’est la grande annonce de la visite d’Etat d’Emmanuel Macron auprès de Mohammed Ben Salmane : la France et l’Arabie saoudite vont co-présider une conférence internationale sur la création d’un Etat de Palestine. Bonne idée puisque toutes les personnes raisonnables sont favorables à une solution à deux Etats. Mais idée des plus dangereuses si c’est le Hamas qui se retrouve à la tête de l’Etat palestinien et que sa création ne résulte que de concessions exigées d’Israël, alors que le Liban et d’autres pays arabes, surtout la Jordanie où vivent des centaines de milliers de Palestiniens depuis toujours, doivent aussi y prendre leur part.
Ce voyage de trois jours se ponctuera-t-il également par des déclarations communes en faveur de la relance des accords d’Abraham par lesquels Bahreïn et les Émirats arabes unis avaient signé un traité de paix avec Israël en 2000 sous l’égide des Etats-Unis de Donald Trump. Rappelons que c’est la perspective d’une adhésion de l’Arabie saoudite à ces accords historiques qui avait précipité le déclenchement du 7 octobre par le Hamas.
Samedi prochain, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron pourra rendre compte à Donald Trump, en visite surprise, des pourparlers qu’il vient d’avoir avec Mohammed Ben Salmane.
Mais qu’on est loin de Paris à Riyad !
Pendant que le personnel politique français se perd dans des querelles intestines et une censure annoncée du gouvernement Barnier, alimentant un climat de défiance envers nos institutions, Emmanuel Macron continue d’arpenter le globe. Après l’Amérique latine, où il s’est rendu au Brésil et au Chili, le président français a posé ses valises pour trois jours à Riyad, en Arabie saoudite. Une visite d’État qui dépasse les apparences et pose la question centrale : quel est le sens de ce déplacement dans un pays au cœur des enjeux stratégiques du XXIe siècle ?
La France et l’Arabie saoudite entretiennent depuis plusieurs décennies une relation complexe. Partenaire commercial majeur, client fidèle de notre industrie militaire, et acteur incontournable sur la scène énergétique mondiale, Riyad reste néanmoins critiqué pour son bilan en matière de droits humains. Les exécutions et les condamnations à mort sont en augmentation inquiétante.
Emmanuel Macron, en fin connaisseur des subtilités diplomatiques, semble vouloir renforcer cette coopération stratégique tout en évitant les écueils d’une relation complaisante.
Partenariat stratégique
Mais que connaît-on précisément de ce « partenariat stratégique » signé par la France et l’Arabie saoudite ? Selon les premières annonces, ce pacte englobe des domaines variés : transition énergétique, développement des énergies renouvelables, coopération culturelle et universitaire, et, bien sûr, renforcement des liens économiques. Une ambition affichée de modernisation qui fait écho au programme « Vision 2030 » du prince héritier Mohammed ben Salmane.
Cette visite arrive quelques jours après que Alstom, leader mondial de la mobilité intelligente et durable, a célébré le lancement du réseau de métro de Riyad, une étape clé des plans ambitieux définis par la Commission royale pour la ville de Riyad (RCRC) afin d’améliorer la mobilité et la qualité de vie dans la capitale. Ce réseau de 176 km, qui comprend six lignes, 85 stations ultramodernes et sept dépôts, établit une nouvelle norme mondiale en matière de mobilité urbaine. L’implication d’Alstom dans ce projet démontre son leadership dans le domaine du transport durable grâce à un matériel roulant innovant et à des solutions clés en main. Les salariés d’Asltom à Belfort peuvent en être fiers.
Riyad veut diversifier son économie et réduire sa dépendance au pétrole, tout en ayant œuvré à l’échec de la COP 29 à Bakou, les producteurs de pétrole ayant refusé de prendre le moindre engagement sur la réduction de leur production d’hydrocarbures à l’avenir. Realpolitk quand tu nous tiens…
Qu’en sera-t-il de la Conférence des Nations Unies sur la désertification qui se tient dans la capitale saoudienne ces jours-ci ? Le suspense est infime quant à une issue utile pour la planète de cette énième négociation onusienne. Cependant, en marge de la COP16 désertification, s’est tenu à Riyad le One Water Summit, coprésidé par la France et le Kazakhstan, étape préparatoire de la Conférence des Nations unies sur l’Océan qui aura lieu en juin 2025 à Nice.
Paris, de son côté, voit dans l’ambition de Mohammed Ben Salmane une opportunité de s’imposer comme un acteur clé de cette transformation, tout en promouvant ses technologies, ses entreprises et son savoir-faire.
À cela s’ajoute l’enjeu géopolitique : face à une région instable, marquée par les tensions avec l’Iran et les conflits au Yémen, la France veut peser comme partenaire crédible, à la fois ami et médiateur.
L’Arabie saoudite a certainement joué un rôle décisif dans l’obtention du cessez-le-feu entre Israël et le Liban négocié par les États-Unis et la France il y a dix jours.
Cependant, ce pragmatisme diplomatique n’est pas sans poser de questions éthiques. Peut-on parler d’écologie et de progrès culturel dans un pays accusé de réprimer les libertés fondamentales et d’étouffer toute opposition ? La France, patrie des droits de l’homme, risque-t-elle de diluer ses principes dans le mirage des opportunités économiques et stratégiques ?
Ces interrogations sont légitimes, mais il serait naïf de réduire la diplomatie à une quête idéalisée de vertu. L’Arabie saoudite est un partenaire incontournable dans un monde en quête d’équilibres nouveaux. Refuser le dialogue, c’est céder la place à d’autres puissances moins scrupuleuses, qu’il s’agisse de la Chine ou de la Russie. Macron joue ici une carte subtile : associer les intérêts économiques aux enjeux globaux tels que le climat, tout en maintenant une voix critique, certes mesurée, sur les droits humains.
Une certaine idée de la France dans le monde
Cette visite en Arabie saoudite relancera-t-elle la France sur la scène internationale ? Tâche de plus en plus ardue au regard de l’endettement et de la perte de compétitivité de la France, et des croupières que la Russie nous taille plus particulièrement en Afrique, ancienne chasse gardée de la France sur le plan diplomatique et militaire. Ces reculs stratégiques ont été largement accentués depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017.
Alors que le personnel politique national s’enlise dans des débats stériles, cette tournée internationale du président français rappelle que l’avenir de la France ne se joue pas seulement dans l’Hexagone, mais aussi dans sa capacité à peser sur les grands enjeux mondiaux. L’Arabie saoudite, avec ses contradictions et ses ambitions, est à la croisée des chemins. À Emmanuel Macron de montrer que la France peut être à la fois un partenaire fiable et un défenseur intransigeant de ses valeurs.
Une visite d’État qui, au-delà des contrats et des accolades diplomatiques, doit porter un message clair : la France est là, non pour suivre les vents (de sable), mais pour les orienter.
Michel Taube