Ce qui se joue en Géorgie, c’est le même défi que l’invasion de l’Ukraine par Poutine imposé à l’Europe et aux peuples avides de liberté.
Samedi dernier, la présidente sortante de la République géorgienne, Madame Salomé Zourabichvili, était dans les premiers rangs des grands de ce monde pour honorer la renaissance de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Et pour cause…
Cette Franco-Géorgienne, chrétienne et laïque, a décidé de résister avec le peuple géorgien aux velléités de prise de pouvoir des pro-Poutine de son pays. La présidente de Géorgie est née en France et y a passé le plus clair de sa vie au service de la République française avant de faire souche dans sa terre ancestrale.
Aujourd’hui, les Géorgiens sont nombreux à manifester dans les rues de Tbilissi pour exiger l’annulation des élections législatives du 26 octobre dernier. Ils s’opposent au Premier ministre Irakli Kobakhidzé, qui estime avoir « remporté une bataille importante contre le libéralo-fascisme » en Géorgie, terme employé pour qualifier ses opposants. La police a réprimé brutalement les manifestants et a même tabassé le leader de l’opposition en pleine rue.
Les Etats-Unis et l’Union européenne, à part Viktor Orban qui préside le Conseil de l’Union européenne pour encore quelques semaines, ont dénoncé cette répression, et Washington a menacé d’adopter de nouvelles sanctions.
Mais il est peut-être trop tard pour garder la Géorgie sur le chemin de l’Union européenne.
Sauf si la communauté internationale et occidentale réagit ! Salomé Zourabichvili a décidé de tout faire pour éviter la poutinisation de son pays. Elle cherche des appuis.
Petit rappel historique
La tâche sera rude, car depuis 1991, la Géorgie cherche péniblement son unité et son indépendance, et la situation ne va pas changer de sitôt. Influences hégémoniques russes, appel de l’Amérique et de l’Europe, tiraillements ethniques internes, la société géorgienne n’a jamais été apaisée. En 2003, le pays a connu la première révolution de couleur au monde, la Révolution des Roses, afin de contester des résultats électoraux truqués par des clans pro-russes. Le jeune élu de l’époque, le pro-occidental Mikheil Saakashvili, émergea alors sur le devant de la scène, et l’année suivante, il fut élu président.
En 2008, lassé de l’emprise de l’armée russe qui encourageait des rébellions de minorités ethniques, Saakashvili attaqua bien témérairement les positions russes et séparatistes. Son but était non pas de vaincre l’armée russe mais de faire intervenir les États-Unis. Or George W. Bush, en fin de présidence, ne bougea guère.
Nicolas Sarkozy s’ingénia comme intermédiaire physique entre Vladimir Poutine et Saakashvili, entre Tbilissi et Moscou. Il arracha un cessez-le-feu mais dut admettre la sécession de deux provinces ethniquement spécifiques, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.
Saakachvili allait quitter le pays en 2013, après deux mandats, craignant pour sa sécurité. Le va-et-vient clanique géorgien ne s’arrêta pas, et Saakachvili n’étant pas parvenu à l’effacer.
Un nouveau parti émergea en 2012, le Rêve géorgien, de Bidzina Ivanichvili, homme le plus riche du pays, réputé pro-russe mais ne daignant jamais occuper de fonction élue depuis 2013. Pendant quelques années, le Rêve Géorgien se positionna entre Est et Ouest, mais en 2017 le parti porta le projet d’élire le président par un collège d’élus, et de le réduire à un rôle cérémoniel, en prévision d’un rapprochement rampant avec Moscou. Pourtant, le gouvernement avait signé un accord d’association avec l’UE en 2014. Les contradictions politiques allaient s’aggraver encore davantage.
Fraudes massives contre la démocratie
Retour en 2024. Le 26 octobre dernier, les élections législatives semblaient ne donner aucun parti majoritaire. Y a-t-il eu fraude ? Le Rêve Géorgien dépensa quatre fois plus sur sa campagne que l’opposition, s’appropria les médias, et jouit de l’appui des Services de renseignement et de bandes semi-criminelles pour intimider les électeurs. Le vote n’était pas parfaitement secret, à cause d’un système de caméras de surveillance détourné de leur objet. Les observateurs étrangers ont dénoncé de très nombreuses irrégularités. Et pourtant les autorités proclamèrent une majorité absolue au Rêve géorgien.
Dès la proclamation des résultats, le Rêve géorgien annonça le gel des négociations d’accession à l’UE pendant quatre ans, après avoir fait campagne pour un avenir européen !
Et maintenant, la présidence doit être renouvelée sans passer par le suffrage universel, le 14 décembre. La présidente Zourabichvili, sortante, réfute les résultats électoraux, et ordonne l’annulation du scrutin afin d’organiser un scrutin juste.
La jeunesse est dans les rues depuis le 27 octobre appelant à l’Europe. La Présidence européenne est malencontreusement menée par la Hongrie, et Viktor Orban est allé à Tbilissi pour confirmer la régularité du scrutin et la victoire du Rêve géorgien, laissant le soin à la Commission européenne et au Parlement européen de porter seuls un appui européen à ce mouvement de contestation démocratique.
Le temps est compté pour un renversement serein de la situation, car la présidente Zourabichvili a dit qu’elle ne quitterait pas la présidence le 14 décembre sans l’annulation du scrutin et que c’est le peuple géorgien qui la protégerait.
La présidente Zourabichvili saura-t-elle faire comprendre à Emmanuel Macron, à l’Union européenne et à l’OTAN que la Géorgie, comme l’Ukraine, lutte à sa façon contre la mainmise de Poutine ?