Edito
14H59 - dimanche 15 décembre 2024

Un défi pour François Bayrou : démocratiser la formation professionnelle et l’orienter vers les métiers d’avenir. La chronique de François Perret

 

En prenant ses quartiers rue de Varenne, une multitude de défis à très court terme attend déjà le nouveau Premier ministre. Après une nouvelle dégradation de la note de la France par Moody’s samedi 14 décembre, rassurer les marchés financiers sur le sérieux de la politique budgétaire devient urgent. L’adoption prochaine d’une « loi spéciale », en vue d’organiser une situation provisoire jusqu’à l’adoption de la loi de finances en 2025, est un autre impératif pour François Bayrou, afin d’éviter le chaos. Enfin, après le passage du cyclone Chido à Mayotte, le défi de la reconstruction s’annonce immense pour venir au secours des 320 000 habitants d’un des territoires parmi les plus pauvres du pays.

De quoi exposer le nouveau gouvernement, qui sera composé dans les prochains jours, au risque de négliger voire d’oublier les enjeux de moyen terme pour lesquels les Français attendent aussi des réponses concrètes.

Le risque c’est qu’une fois encore, pour apaiser les tensions immédiates au sein de la société française, où la grogne sur le pouvoir d’achat monte et les annonces de plans sociaux se multiplient depuis quelques semaines (Arcelor, Carrefour, Michelin…), des réponses simplistes et inefficaces soient adoptées plutôt que de prendre le temps de mettre en perspective les problèmes.

Ainsi, la dégradation de la situation de l’emploi depuis quelques longues semaines ne peut être imputée en totalité à celle de l’environnement macro-économique. Il y a des problématiques structurelles que l’économie française s’avère impuissante à régler depuis des décennies.

Comment expliquer qu’après tous les moyens injectés dans la formation professionnelle, celle-ci continue encore d’échapper pour l’essentiel aux actifs les plus fragiles ? D’après l’Insee, moins de 20% des adultes sortis de formation initiale avec un diplôme inférieur au baccalauréat ont suivi une formation professionnelle au cours des douze derniers mois en 2022. C’est trois fois moins que chez les bacs+3 (58%). Les cadres supérieurs sont deux fois plus formés (68% contre 33%) que les ouvriers, alors que des transformations majeures affectent l’industrie et ses métiers. Quant aux chômeurs, alors qu’ils devraient bénéficier d’une attention particulière, leur accès à la formation professionnelle est deux fois plus réduit que pour les personnes en emploi (23% contre 44%).

Des statistiques d’autant plus inquiétantes qu’il n’est pas non plus avéré que le contenu des formations offertes sur le marché soit suffisamment bien orienté vers la préparation aux métiers d’avenir.

Si la France veut espérer combler son retard avec les économies du monde les plus compétitives (États-Unis, Allemagne, Corée du Sud…), elle se doit non seulement de rattraper celles-ci en termes de nombre d’ingénieurs formés (manqueraient actuellement 40 000 ingénieurs chaque année selon une enquête de l’Union des industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM) – juillet 2024) mais penser également à l’adaptation des compétences de l’ensemble de ses salariés, à commencer par ses professions intermédiaires. Or, alors qu’on assiste à une montée en puissance impressionnante des métiers et besoins correspondant aux deux grandes transformations en cours dans les sociétés (numérique et climat), beaucoup d’entreprises ne disposent pas des compétences requises dans ces domaines. Trop peu de PME françaises enclenchent, par exemple, un vrai plan de décarbonation (moins de 10% d’entre elles), faute de disposer d’un responsable RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et/ou d’un chef de projet en décarbonation et transition énergétique.

Il est donc urgent de développer dans l’enseignement supérieur et sur le marché de la formation professionnelle de nouvelles réponses susceptibles d’aider les entreprises, petites et moyennes, à se doter des compétences nécessaires pour accompagner les révolutions de l’IA (intelligence artificielle) et du climat. Faute de quoi, les transformations feront du surplace et notre rang dans l’économie internationale continuera de se dégrader, faute d’innovation et de productivité.

Les écoles d’ingénieurs commencent à se mobiliser pour offrir aux décideurs les moyens de développer leur réflexion stratégique sur les enjeux de la data et de l’IA (Executive Certificat de 15 heures à l’école Polytechnique, par exemple). Et les Business School ne sont pas en reste, à l’instar du « Certificate Intelligence artificielle for Business » de l’ESCP (60 heures sur quinze semaines, 100% en ligne) dont la prochaine session démarre le 13 janvier prochain.

Mais il faut aller plus loin et conjuguer ce souci de préparation de l’économie française aux métiers du futur avec une logique de démocratisation. « L’ESCP extension » proposera, de son côté, à partir du 20 mars 2025, un certificat sur huit mois – accessible au plus grand nombre et principalement en ligne- à des professionnels du privé et du public qui le souhaiteraient – incluant un parcours spécialisé, comprenant (au choix) 60 heures sur la transformation numérique et l’IA ou sur les transformations écologiques.

Sans se laisser submerger par le quotidien, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou, devra veiller à Matignon à ce que l’enseignement supérieur dans sa globalité (Universités et grandes écoles) et le marché de la formation prennent mieux en compte dès 2025 la formation aux métiers d’avenir pour tous, et que les entreprises, dans leur plan de développement des compétences, pensent prioritairement aux nouvelles opportunités de reconversion professionnelle vers les métiers issus de la transition numérique et écologique à ouvrir à leurs collaborateurs.

 

François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)

 

 

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