Noël dans les airs
07H00 - mardi 24 décembre 2024

Le Noël extraordinaire de Jean-François Clervoy, spationaute. La chronique de Magali Rebeaud

 

Il y a tout juste 25 ans, le spationaute Jean-François Clervoy vivait un 25 décembre extraordinaire dans l’espace, lors de la mission STS-103 consacrée au sauvetage du télescope Hubble.

Le 19 décembre 1999, à 19h50, au tout début de la fenêtre de tir de quatre minutes utilisables et après douze reports pour des raisons techniques ou météorologiques, Discovery décolle de Cape Canaveral en Floride. Direction Hubble, à 600 kilomètres d’altitude. À bord de la navette, les sept astronautes, dont le français Jean-François Clervoy, ont pour mission de réparer en orbite le télescope spatial, Hubble. Divers problèmes techniques menacent de mettre un terme à ses observations. Lancé neuf ans plus tôt, il a déjà bouleversé nos connaissances sur l’univers, grâce à ses capacités largement supérieures à celles des télescopes terrestres du moment.

Pour sa troisième mission spatiale, Jean-François Clervoy a une double responsabilité. Il est à la fois ingénieur navigant, celui qui coordonne le travail dans le cockpit et assiste le commandant de bord et le pilote ; et il est également pilote du bras robotique, cet outil indispensable permettant de saisir et de manipuler Hubble lors des réparations.

 

Une mission accomplie et un Noël inoubliable

Plusieurs sorties dans l’espace seront nécessaires pour remplacer les composants défectueux. « Installé au pupitre de commande du bras robotique, le nez collé au hublot, je vois mes deux équipiers sortir du sas, se sécuriser en attachant leur filin de sécurité aux anneaux prévus à cet effet. Je les entends respirer. Ils ne parlent pas. Puis ils font leur travail. Pendant près de huit heures, je pilote à vue. J’ai presque l’impression d’être moi-même dans un scaphandre à leurs côtés », raconte Jean-François Clervoy.

Pendant la période de sommeil des astronautes qui suit chaque sortie dans l’espace, le centre de contrôle en Floride vérifie que chacune des réparations a bien réussi.

Six jours après le départ, les contrôleurs demandent aux astronautes de rester en patrouille serrée à 28 000 km/h (8km/s) à côté du télescope, afin d’effectuer les derniers tests. « On s’est positionné à quelques centaines de mètres du télescope. Et on est resté comme cela à admirer le magnifique télescope sur fond noir. Après quelques orbites, le centre nous a rappelés pour nous dire que le télescope était 100 % opérationnel », se remémore Jean-François.

Il peut alors libérer Hubble. Une nouvelle tâche délicate, car il s’agit de ne pas « bousculer » le télescope qui vient tout juste d’être réparé et bien sûr de ne pas endommager la navette. « Le jour de Noël, notre mission était accomplie ! Ce fut l’un de mes plus merveilleux cadeaux ». Réparer Hubble signifiait permettre à l’humanité de continuer à explorer l’univers et à comprendre les mystères du cosmos. Cette responsabilité, mêlée à l’émotion de Noël, donnait à leur mission une résonance toute particulière.

Hubble largué par Jean-François Clervoy le jour de Noel

 

Un repas de fête en apesanteur à 28 000 km/h

Après le largage du télescope, l’équipage décide alors de célébrer Noël et de déguster un repas de fête. L’astronaute Suisse, Claude Nicollier sort ses chocolats et Jean-François, ses plats du Sud-Ouest, compatibles avec les exigences sanitaires du vol spatial : du foie gras entier en petits pots de verre et un confit de canard à la sauce bordelaise aux cèpes, Le vin est interdit à bord, mais il y en avait tout de même un peu dans la sauce bordelaise ! Une découverte pour les coéquipiers américains qui ne connaissent tout simplement pas ces spécialités gastronomiques.

« Je garde un souvenir extraordinaire et insolite de ce Noël, où en apesanteur, tout en dégustant du foie gras, je contemplais la Terre depuis l’espace. Cette vue prenait une dimension encore plus magique et émouvante ce jour-là », confie Jean-François.  « Depuis l’Espace, nous réalisons que la Terre est unique, isolée et magnifique. Cet émerveillement, cette émotion extrême qui est appelée l’overview effect (perspective plongeante) nous marque à vie ! », poursuit-il. Ce fascinant « overview effect », cette prise de conscience de la singularité de la Terre et de notre responsabilité à son égard, tous les astronautes en témoignent, lorsqu’ils aperçoivent la Terre.

L’apesanteur est une autre sensation exceptionnelle du voyage dans l’espace. Une fois en orbite, lorsque les moteurs de la navette sont éteints, l’apesanteur règne en continue pour toute la durée de la mission. « On ne ressent aucun mouvement, alors qu’on se déplace à 28 000 km/h. On flotte. On peut faire abstraction de son corps, on ne le sent plus ».

Puis sur instruction du commandant de bord, il a fallu commencer la préparation au retour. L’entrée dans l’atmosphère a été retardée par une météo défavorable au-dessus de la Floride. Quelques heures de temps libre leur ont ainsi été accordées. « Alors on a éteint toutes les lumières dans le cockpit. Et pendant plusieurs orbites successives, j’ai eu droit au plus beau cours d’astrophysique de ma vie. Mike Foale, John Grunsfeld et Claude Nicollier, tous trois astrophysiciens m’ont raconté le ciel vu de l’espace, ils m’ont parlé d’astronomie, la reine des sciences. Un moment unique. Ce fut mon deuxième cadeau de Noël ! »

 

Une expérience humaine et spirituelle unique

La mission STS-103 a duré 8 jours, 21 heures et 43 minutes, pendant lesquels l’équipage a travaillé sans relâche pour sauver le télescope. Hubble a pu poursuivre ses observations, offrant à l’humanité des images extraordinaires de l’univers. Grâce à Hubble, on sait que notre univers a une histoire qui a commencé il y a précisément 13,7 milliards d’années.

« Au-delà d’une mission scientifique exceptionnelle, ce Noël dans l’espace fut une expérience humaine et spirituelle unique. La beauté et la puissance de la planète bleue m’avaient profondément ému. Il m’est arrivé d’avoir des larmes aux yeux d’émerveillement, devant ces couleurs, ces reliefs, ces océans et ces nuages. Ces images ne m’ont pas quitté depuis ».

Jean-François nous livre un message qui prend un sens bien particulier en ce jour de Noël : « Si tous les Terriens volaient dans l’espace, ils verraient combien la planète surpasse en beauté tout ce que l’homme a dessiné, peint, construit ou inventé. Si tous les Terriens allaient dans l’espace, frappés par la beauté de notre planète, non seulement leur regard, mais aussi leur comportement vis-à-vis des uns et des autres changerait ».

 

Magali Rebeaud,
Journaliste spécialisée Aéronautique, Spatial et Tourisme.