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16H05 - samedi 28 décembre 2024

En Corée du Sud, la guéguerre entre la présidence et l’Assemblée nationale est une malédiction. Tribune d’Harold Hyman

 


Le 3 décembre le président de la République de Corée proclama la loi martiale, mais y mit fin le même jour devant l’opposition populaire, parlementaire et même militaire. Le peuple sud-coréen n’aime pas que les présidents prennent trop de pouvoir, mais ils le veulent efficace et paternel. Confucius est passé par là. Depuis les années 50, les Sud-Coréens ont 25 ans de dictatures militaires partielles ou absolues. Ils s’expriment avec violence. Dans les années 70, leur président-dictateur-général Park Chung-hee fut assassiné par des éléments militaires dégoûtés par la dérive monarchique de son pouvoir. Ces mêmes officiers lui succédèrent collégialement, puis tentèrent de maintenir un régime militarisé pire que le précédent.

Ce nouveau régime réprima les étudiants pro-démocratie dans le sang (a minima 200 morts) ce qui conduisit à huit ans de contestations qui poussèrent la junte à restaurer graduellement une démocratie. Pourtant, les conservateurs actuels, continuateurs des idées des autocrates militaires, persistent électoralement.

La preuve : en 2014, Park Geun-hye, la fille du général assassiné 35 ans plus tôt, fut élue ! Or elle fut rapidement rattrapée par divers scandales de probité. Une vague populaire mit fin à tout cela : des centaines de milliers de manifestants se relayèrent tous les soirs, dans la rue, en protestation silencieuse contre Madame Park, dans un énorme sit-in, sans violence, jusqu’à ce que ses députés se retournent contre elle et lui infligent un « impeachment », c’est-à-dire un procès devant la Cour suprême et une condamnation à 25 ans de prison en 2017, dont une grâce présidentielle vint la délivrer en 2022.

Et voici que le peuple élit en 2022, Monsieur Yoon Suk Yeol, procureur très conservateur, par une marge infime, pour un mandat non-renouvelable de cinq ans. Du même parti que Madame Park ! Les conservateurs sont tenaces.

En 2024, les élections parlementaires – le mandat d’un député est de quatre ans et ne coïncide pas avec celui du président – virent la mise en minorité complète du parti conservateur. Or le régime est présidentiel ! Voilà encore un exemple de l’effet délétère de la désynchronisation des législatives et de la présidentielle, comme tous les Français le savent désormais. Yoon fut assailli par le rouleau compresseur de l’opposition désormais majoritaire : tous ses projets de lois furent bloqués, et plusieurs de ses ministres furent soumis à des procédures de destitution, le célèbre « impeachment ».

Yoon a sans doute aggravé son cas en tentant la loi martiale pour briser la paralysie. Prenons les arguments de Yoon pour se justifier ce 3 décembre :

« Protéger la démocratie libre contre les forces antinationales opérant secrètement dans la République libre de Corée (du Sud) et contre leurs menaces de subversion de l’État, ainsi que de la sécurité publique. »

Yoon laissa planer l’idée d’un risque de trahison en faveur de la Corée du Nord ! L’hyper-rigidité envers le Nord est la spécificité des conservateurs. Évidemment, pour un regard occidental, l’opposition sud-coréenne n’est absolument pas anti nationale. Pour un Sud-Coréen, est-ce une trahison de négocier avec un tyran du Nord ? Oui. Ainsi, Yoon a moins dérivé que l’on pourrait croire. Et peut-être qu’il s’attendait à un signal positif des États-Unis, lui qui eut le privilège de s’adresser, en son excellent anglais, aux élus américain dans la Chambre des Représentants en 2023. Et il avait eu un échange téléphonique avec Donald Trump le 7 novembre 2024 de douze minutes… pas assez pour expliquer son projet de loi martiale.

Le jour même de la proclamation de la loi martiale, les députés retournèrent à l’Assemblée nationale, sous le nez des parachutistes qui désobéirent à leurs ordres de ne laisser passer personne. La loi martiale implique un vote favorable de la moitié des députés, et l’on se demande si Yoon entendait vraiment sauter cette étape ! C’est d’ailleurs ce que l’on va lui reprocher lors de son futur procès, car l’Assemblée nationale l’a « impeaché », c’est-à-dire l’a accusé de crime contre la république, ce qui suspend ses fonctions en attendant un procès de six mois maximum devant la Cour Suprême.

Toujours est-il que sa loi martiale fut annulée par la députation cet après-midi fatidique du 3 décembre, et que Yoon se rangea à cette décision. En revanche, si l’on pense que Yoon aurait dû démissionner tout de suite après l’annulation de la loi martiale, cela signifie que l’on ne lui accorde aucune circonstance atténuante. Or l’on devrait : la Corée du Nord est un réel danger, et le blocage institutionnel lancé par l’opposition était partisan, et non patriotique. Enfin, c’est la faute à personne si la Constitution sud-coréenne rend quasi-automatique le bras de fer entre la présidence et l’Assemblée nationale.

Aucun camp n’avait accepté une cohabitation, comme il y en eut dans le passé en pareille circonstance. Le système constitutionnel est arrivé à son ultime impasse. Tout cela alors que le Japon, allié indispensable, faiblit. La Corée du Nord se lance dans la guerre chaude, en envoyant 12 000 soldats à Koursk, pour aider certes la guerre de Poutine mais aussi pour apprendre à faire la vraie guerre. En fait, l’opposition est fatiguée par leur guerre froide péninsulaire. Or ce n’était sans doute pas le moment d’exaspérer le président.

Les dégâts à la démocratie sud-coréenne sont graves : la tentation de l’aventure s’enracine. Un futur président saura mieux s’y prendre. Emmanuel Macron a de quoi méditer. Le président contre le Parlement, recette de désastre dans des régimes présidentiels moins verticaux que celui des États-Unis. Il faudrait un mécanisme constitutionnel pour soit contraindre le président, soit l’Assemblée. Cet entre-deux est trop dangereux, comme le prouve le cas sud-coréen. Il faudrait surtout un esprit patriotique fraternel.

 

Harold Hyman,
journaliste spécialisé en questions internationales sur CNEWS

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