Force est de reconnaître que malgré ses gaffes et ses faiblesses évidentes, François Bayrou a nommé un gouvernement qui a belle allure. Un casting certes très proche du gouvernement Barnier mais potentiellement très différent.
Retailleau demeure la personne centrale de ce gouvernement, incontournable, mais sans en être l’unique soliste. Il partage la tête d’affiche avec d’autres solistes de renom. Il sera déjà aidé cette fois par un ministre de la justice au diapason, parfaitement aligné avec l’objectif de restauration de la sécurité et de reprise en main de l’immigration, deux des objectifs prioritaires de nos concitoyens. Nous verrons ce que Darmanin, à présent garde des Sceaux, acte, au-delà des paroles. Car ce que nos citoyens garderont en mémoire lors des prochaines élections, ce ne seront pas les paroles et les promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, mais les actes, les statistiques, les chiffres, la vraie vie.
Bayrou a cédé au diktat de Marine Le Pen en écartant Xavier Bertrand, dont le programme fort sur la justice pourrait utilement inspirer Darmanin.
Sans le vouloir, Bayrou et Le Pen ont peut-être aidé Xavier Bertrand, car si la sécurité est rétablie et si l’immigration sur notre territoire n’est plus subie mais choisie, les lauriers en seront toujours attribués au ministre de l’Intérieur, pas au ministre de la justice. D’autant que l’action d’un ministre sur la police et la répression des délits et crimes peut être très rapide quand l’action d’un ministre sur le temps judiciaire, sur la construction de prisons, sur l’état d’esprit de certains juges, sur leur formation, se mesure en années… Avec une espérance de vie d’un portefeuille ministériel allant entre un mois et une année, mieux vaut être place Beauvau que place Vendôme pour marquer les esprits et se positionner pour la suite. Et si la situation ne s’améliore pas, le responsable évident, le bouc émissaire naturel, ce sera la justice, et donc son ministre.
Le troisième objectif prioritaire est bien sûr le pouvoir d’achat. Bayrou, et certainement Macron, ont choisi un excellent technicien, parfaitement inconnu du grand public, mais disposant d’une solide expérience, avec des réseaux d’amitiés très importants dans la haute administration et les dirigeants d’entreprise. Eric Lombard avait participé, vers 2007, à la création des Gracques, ce groupe de hauts fonctionnaires de gauche qui avait appelé à un rapprochement entre le PS et l’UDF de l’époque, dirigé par un certain Bayrou, et qui avait permis aux « socialistes raisonnables » d’opérer un tournant libéral salutaire. Manuel Valls alors premier ministre avait suivi nombre de leurs idées, et un certain Emmanuel Macron était proche d’eux. Nul doute que cet expert aura plus d’expérience que son prédécesseur, encore bien trop jeune, pour comprendre les attentes des Français et y répondre efficacement. Nul doute aussi que cet homme expérimenté aura plus d’expertises que Bruno Le Maire, non pas dans l’écriture technico-érotique, mais dans la maîtrise des comptes publics et des déficits comme dans leur prévision ! Espérons surtout que le sort funeste des Gracques historiques, Caius et Tiberius Gracchus, incapables de réformer un système qui aura leur peau, ne soit pas celui de ce ministre.
Mais pour le pouvoir d’achat, tout ne se passe pas à Bercy. Faut-il encore un parfait alignement entre le ministère de l’économie et celui du travail et de la santé.
Bayrou et Macron ont choisi de réunir travail et santé en un même ministère sous la houlette de Catherine Vautrin, un choix astucieux. Astucieux surtout si, contrairement à Darrieussecq, la nouvelle ministre ne cède pas au dogme et réforme avec sagesse l’aide médicale d’état, la fameuse AME. Astucieux si la nouvelle ministre ne cède pas à l’administration comme sous le gouvernement Barnier en proposant une hausse du coût du travail au moment où notre économie est en panne.
Il nous faut passer surtout à une autre étape sur le travail et la santé, il nous faut repenser drastiquement notre modèle social et comment le financer, comment faire en sorte que son financement ne repose pas toujours sur les épaules des mêmes, sur la France qui travaille, mais soit partagé avec justice et équité. Il nous faut continuer à diminuer le coût du travail, et non l’inverse, et que tous les Français participent au financement de notre modèle. Cela passe, bien sûr, par la hausse de la TVA et par des exonérations de CSG et CRDS, avec un équilibre astucieux qui permette une hausse du pouvoir d’achat pour les petits salaires et les petites retraites.
Il nous faut permettre à bien plus de jeunes d’entrer dans la vie active et à bien plus de seniors de rester actifs aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Il nous faut aussi, parallèlement, permettre une montée en gamme des personnes dans les fonctions intermédiaires. Faute de formation continue adaptée, ces personnes, essentiellement des femmes, verront très vite leurs postes remplacer par l’IA. Faute de pensée politique sur ce sujet, notre taux de chômage grimpera vertigineusement et notre pays sombrera. Le déclin actuel amorcé deviendra un effondrement !
Si nous augmentons notre taux d’emploi, c’est-à-dire plus simplement le nombre de personnes qui travaillent, notre capacité collective à mieux utiliser nos ressources humaines, alors une grande partie de nos problèmes de déficits structurels, et donc de dettes, de difficultés à trouver les ressources financières pour investir, moderniser, innover… disparaissent comme par magie ! Il ne s’agit pourtant pas là de magie mais de faits et chiffres !
Espérons en tout cas que Catherine Vautrin et ses ministres délégués emprunteront cette voie, en parfaite convergence avec Eric Lombard et Bercy. La folie, c’est refaire toujours la même chose en attendant un autre résultat…
Enfin, une autre bonne idée du casting Bayrou/Macron est bien sûr le retour aux affaires de deux anciens premiers ministres. Deux poids lourds qui équilibrent plus fortement le gouvernement que le gouvernement Barnier ne l’était.
Elisabeth Borne, malgré les critiques injustes, est une grande républicaine. Elle incarne l’excellence du modèle républicain, prouvant que l’effort permet une ascension sociale. Pupille de la Nation, elle a réalisé de brillantes études et est devenue Premier ministre. La réussite ne vient pas sans efforts ; il faut travailler, s’améliorer et s’orienter pour y parvenir.
Effort et travail, voilà deux mots qu’elle pourra enseigner à notre jeunesse, deux mots oubliés et galvaudés, et qu’il convient de glorifier à nouveau, comme ce beau principe de laïcité. Gageons qu’Elisabeth Borne aura à cœur de remettre la mairie au milieu du village et de faire la part belle aux valeurs d’effort, de travail et au principe de laïcité dans toutes nos écoles, partout en France. Si nous voulons réapprendre à penser à notre jeunesse, ce qui est la mission première de l’éducation, si nous souhaitons que nos jeunes puissent s’émanciper, penser par eux-mêmes, si nous voulons que nos enfants, notre futur, sachent utiliser les outils d’aujourd’hui et de demain, de l’intelligence artificielle à la puissance quantique, et ne soient pas abrutis, lobotomisés, manipulés, et donc soumis, dominés par TikTok ou par les chaînes de prédicateurs et d’influenceurs. Si nous souhaitons qu’ils soient maîtres de leur destin et non esclaves, tout part de là : effort – travail – laïcité ! Borne sera une excellente ministre d’État.
Enfin Manuel Valls nommé ministre d’État aux Outre-mer : bravo !
Devant les défis qui sont les nôtres à Mayotte, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, il nous faut un grand ministre qui sache insuffler un esprit, une dynamique. Sur la Nouvelle-Calédonie par exemple, Roger Leray, en son temps, avait su trouver les voies et les moyens pour réunir autour d’une même table tous les protagonistes, les refaire discuter ensemble, leur permettre de créer les conditions d’une sortie de crise gagnante pour tous, les faire rêver ensemble de nouveau à un avenir commun. Michel Rocard avait utilisé tout ce travail de fond comme base du Plan de Christian Blanc et ce territoire était sorti par le haut de la crise armée. Nul doute que Manuel Valls a la carrure, l’expérience et le talent pour être à la fois Leray, Blanc et Rocard et pour écrire avec toutes les parties prenantes les mots d’une histoire toujours commune et bénéfique pour tous.
Reste l’incertitude du calendrier et surtout de la durée de vie de ce gouvernement. On peut déjà parier sur la grande souplesse et l’absence de colonne vertébrale du Premier ministre pour qu’il essaie de satisfaire aux exigences tant du PS que de celles du RN et éviter une censure immédiate, mais jusque quand. D’autant que si Bayrou est prêt à tout pour durer, ses ministres, mieux ses députés, accepteront-ils de courber l’échine à chaque fois, devant la gauche comme devant l’extrême droite ? Depuis Henri IV, nous savons que Paris ne vaut pas une messe…
Même un mauvais chef d’orchestre peut mettre au diapason d’excellents musiciens. Mais il faut être un bon pour permettre à son orchestre d’atteindre l’harmonie et au public entier de toucher à l’égrégore…
Place alors à une alternative qui ne se joue qu’avec de grands musiciens chevronnés qui n’ont pas besoin de chef d’orchestre parce qu’ensemble, face au défi droit devant eux, ils sont d’emblée au diapason, un autre système original de philharmonie, à laquelle Macron a peut-être déjà songé, pour permettre à la France de retrouver son égrégore originel, non pas un Premier ministre classique, mais un Directoire réunissant Xavier Bertrand, Bernard Cazeneuve et Emmanuel Macron, avec des modalités, un modus operandi, à définir pour rester conforme à notre chère Constitution. Ce devrait être la seule façon de passer cette étape très difficile de notre histoire, et en sortir par le haut ! Mais il faut bien penser cette nouvelle gouvernance et toujours mûrir les leçons de l’Histoire.
Il ne faudrait pas qu’après l’an pire ne vienne l’Empire…
Patrick Pilcer
Conseil et expert sur les marchés financiers, président de Pilcer & Associés, Chroniqueur Opinion Internationale