Le prix de l’électricité va baisser à partir du 1er février, mais cette baisse camoufle l’augmentation parallèle des tarifs de transport des réseaux électriques. Endettés, l’État et les opérateurs appellent à consommer plus d’électricité pour éponger leurs dettes et financer leurs investissements, oubliant au passage leurs engagements climatiques en termes de sobriété. Une valse-hésitation symptomatique de la schizophrénie française en matière d’énergie.
À partir du 1er février, le prix de l’électricité va enfin baisser. Plus précisément, la baisse, longtemps attendue, des prix de l’électricité sur les marchés de gros va entraîner une diminution du tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE), qui va passer de 281 euros/mégawattheures (MWh) à 239 euros/MWh. Pour les deux tiers des consommateurs français qui bénéficient du TRVE, cela se traduira par une baisse de -15 % de leur facture – soit davantage que les 14 % promis par le gouvernement de Michel Barnier. Une bonne nouvelle pour de nombreux ménages et entreprises qui subissaient de plein fouet l’envolée des tarifs de l’électricité consécutive au déclenchement de la guerre en Ukraine.
À bien y regarder cependant, la baisse tarifaire masque la hausse de plusieurs éléments entrant dans la composition du prix de l’électricité – un tarif qui, pour rappel, repose sur trois piliers : la production d’électricité en elle-même, qui représente un peu plus de la moitié (55%) du prix global ; la part dévolue aux réseaux d’acheminement (20%) ; les taxes, enfin, prélevées par l’État (environ 25%). Certes, les prix de l’électricité sur les marchés ont bien diminué, passant en deux ans de 170 euros/MWh à 76 euros ; et c’est cette baisse qui sera, le 1er février, répercutée sur le tarif payé par les consommateurs. Mais en partie seulement.
Une baisse oui, mais en trompe-l’œil
Concomitamment en effet, les deux autres composantes du prix de l’électricité – les taxes et les réseaux – vont, elles, augmenter. Du côté des taxes tout d’abord, un arrêté publié le 28 décembre dernier acte la fin du fameux bouclier tarifaire, qui aura coûté la bagatelle de 26,3 milliards d’euros aux finances publiques. À partir du 1er février, l’accise sur l’électricité (l’ancienne taxe intérieure sur la consommation d’électricité ou TICFE) sera en effet rétablie à un niveau équivalent à ce qu’elle était avant la crise énergétique de 2022.
De 21 euros/MWh, l’accise passera donc à 33,7 euros/MWH, soit une hausse de plus de 60 %. Du côté des réseaux ensuite, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a elle aussi annoncé courant décembre une hausse du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Une double hausse, même – la précédente ayant été reportée à la demande du gouvernement –, qui devrait être de l’ordre de 10 % sur la période 2025-2028. Pour les consommateurs, la baisse des tarifs de l’électricité sera donc réelle ; mais moindre que ce qu’ils auraient pu escompter, l’État choisissant de faire supporter son déficit au contribuable plutôt que de baisser ses dépenses.
Un système électrique insuffisamment piloté
Par ailleurs, la hausse du TURPE – qui représente déjà près d’un quart du montant de la facture finale des consommateurs – est justifiée par la CRE au nom des investissements nécessaires pour moderniser, dans les années à venir, les réseaux d’acheminement et de distribution de l’électricité : adaptation des réseaux aux fortes chaleurs, développement des capacités et solutions de stockage des énergies renouvelables (EnR), raccordement des réseaux actuels aux parcs éoliens et solaires, rénovation des infrastructures vieillissantes, etc. Autant de chantiers pharaoniques, qui vont nécessiter d’investir près de 240 milliards d’euros d’ici 2040. Une ardoise que ne peuvent essuyer ni l’État, criblé de dettes, ni les opérateurs des réseaux, Enedis et RTE, dont les déficits atteignent respectivement 2,3 milliards et 523 millions d’euros.
Nul besoin d’être un expert pour comprendre que seules des augmentations substantielles des tarifs de l’électricité seront, à l’avenir, à même d’amortir de tels efforts financiers. Des inquiétudes redoublées par le fait que la France semble incapable de trancher entre le nucléaire d’une part, et les EnR de l’autre : « notre système électrique part dans tous les sens », déplore dans les pages de L’Express le sénateur écologiste Ronan Dantec, qui regrette que ce système ne soit pas « suffisamment piloté ». « Si l’on continue comme si de rien n’était, nous courons à la catastrophe », prévient encore le spécialiste des questions d’énergie. Et l’élu d’appeler, tout en mettant en garde contre le risque d’une surproduction électrique, à la fin des « ‘stop-and-go’ en matière de politique énergétique ».
Schizophrénie énergétique
Cette forme de schizophrénie énergétique s’illustre par un autre argument avancé par la CRE pour justifier l’augmentation du TURPE. Selon l’institution, la hausse du tarif d’utilisation des réseaux serait également due à la baisse structurelle de la consommation d’électricité. De fait, poursuivant une tendance amorcée en 2022, la consommation d’électricité a accusé un net recul en 2023 (-3,2%) et n’a augmenté que de 0,3 térawattheure (TWh) entre janvier et août 2024 – loin des prévisions annoncées. Or cette chute de la consommation engendre, mécaniquement, une hausse du coût marginal d’utilisation du réseau : plus les volumes d’électricité transportés par les réseaux sont faibles, plus le coût d’utilisation de ces réseaux est élevé.
Ce que révèle cette situation, c’est que le marché français dispose d’ores et déjà d’une abondante électricité décarbonée. Une électricité abondante, mais – c’est tout le paradoxe – dont le prix augmente. Pourquoi ? Parce que les opérateurs sont tenus d’investir afin d’augmenter leurs capacités pour respecter les obligations européennes en termes de part d’EnR dans le mix énergétique. Nous sommes donc face à une double injonction contradictoire. D’un côté, alors qu’EDF (actionnaire principal d’Enedis et RTE) multiplie les appels à consommer davantage d’électricité pour faire baisser le coût marginal d’utilisation des réseaux, la CRE augmente en même temps son prix en rehaussant le TURPE. De l’autre, ces appels à consommer plus d’électricité se justifient paradoxalement par la transition énergétique qui repose pourtant sur la sobriété. L’électricité issue du nucléaire a beau être décarbonée, l’énergie la plus durable est encore… celle que l’on ne consomme pas.
Faut-il sauver le climat ou l’État actionnaire ?