Monsieur Manuel Valls, Ministre d’État, Ministre des Outre-mer,
Nous souhaitons en premier lieu vous exprimer notre reconnaissance pour l’attention que vous portez à la situation économique de la Martinique et à la question essentielle de la vie chère.
Toutefois, nous avons pris connaissance, avec surprise, de certains propos que vous avez tenus lors de récentes déclarations, notamment concernant l’opacité de la formation des prix et des marges dans notre territoire. Ces affirmations, bien que venant d’une intention louable, nous semblent malheureusement dénuées de fondement et contrastent avec les éléments factuels et les analyses produites par les services compétents de l’État.
Vous avez évoqué l’opacité entourant les prix et les marges, soulignant que cela soulève des questions essentielles sur l’équité des pratiques commerciales. Vous avez également évoqué le rôle « étouffant pour l’économie et le pouvoir d’achat » de certaines entreprises, ainsi que « l’accumulation de marges à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement », que vous
identifiez comme étant au cœur du problème de la cherté de la vie.
Nous souhaitons rappeler que la loi française, qui régule les pratiques commerciales sur l’ensemble du territoire de la République, y compris en Martinique, assure un cadre strict pour garantir une concurrence équitable. Cette réglementation est même plus stricte en Outre-mer qu’en France continentale, avec des seuils de contrôles de concentration plus bas et
l’interdiction d’exclusivité d’importation. Lors de sa récente audition devant la délégation Outre-Mer du Sénat, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence soulignait que celle-ci, tout comme la DGCCRF, surinvestit en outre-mer comparativement à la France continentale pour garantir le respect de cette législation. De même, les marges pratiquées par les distributeurs en Martinique sont en ligne avec celles de la France continentale, comme le confirment les chiffres
de l’INSEE et les études menées lors des tables rondes sur la vie chère.
Par ailleurs, en juin 2023, lors de son audition devant le Conseil économique, social et environnemental, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence soulignait notamment que « l’écart de prix avec la France continentale, qui varie entre 25 % et 38 % en fonction des produits et des départements concernés, est principalement dû aux frais d’approche liés au transport des produits de la France continentale vers les régions d’Outre-mer ». Ce constat est largement corroboré par de nombreux rapports indépendants, et démontre que le cœur du problème de la vie chère n’est pas l’existence de « marges exorbitantes », comme l’affirme sans justification le député Nadeau, ni le comportement « étouffant » d’acteurs économiques locaux.
C’est en s’appuyant sur ces constats factuels sur les causes réelles de la vie chère qu’au cours des deux dernières années, les entreprises martiniquaises, notamment celles de la grande distribution, ont travaillé en étroite collaboration avec les services de l’Etat pour poser les bases de solutions concrètes. Solutions largement reprises dans l’accord signé en octobre dernier.
Les entreprises martiniquaises, dans un esprit de responsabilité, ont déjà commencé à mettre en œuvre ces mesures localement, en dépit des engagements de l’État qui n’ont pas encore été pleinement honorés. Cette dynamique partenariale, qui mérite d’être encouragée et soutenue, montre l’implication et la volonté des acteurs locaux de participer activement à la résolution des problématiques économiques auxquelles nous sommes confrontés.
En outre, la compétitivité de notre économie locale est fortement entravée par les délais de paiement des collectivités locales (1), largement supérieurs aux délais légaux, qui mettent nos entreprises dans une situation de tension de trésorerie, les rendant économiquement plus fragiles.
Il en va de même pour les délais d’attribution des aides, en particulier des subventions européennes, qui ne nuisent à la réactivité et à la croissance des secteurs économiques les plus fragiles.
Enfin, l’emploi public territorial en Martinique (2), supérieur de 65 % à celui des autres collectivités de France continentale pour des services rendus de moindre qualité, génère une charge fiscale locale importante, laquelle, au lieu de dynamiser l’économie, accroît les coûts de fonctionnement des entreprises.
Il serait souhaitable que l’État joue ici pleinement son rôle protecteur en veillant à la réduction de ces déséquilibres structurels, et en soutenant les efforts nécessaires pour que nos collectivités locales exercent leurs responsabilités de manière plus efficace et efficiente.
Nous comprenons la difficulté de l’exercice, mais il nous semble impératif que l’État, à travers ses différents services, se fonde sur les analyses de ses agences compétentes qui contrôlent avec assiduité la régularité des acteurs économiques ultramarins, telles que l’Autorité de la concurrence et l’INSEE, afin d’éviter de donner du crédit à des discours partisans qui ne reposent sur aucune donnée objective et qui risquent de porter atteinte à la réputation des entreprises locales, déjà fortement éprouvées par les violentes manifestations du dernier trimestre 2024.
En stigmatisant les entreprises, qu’elles soient petites ou grandes, c’est l’ensemble des acteurs économiques ultramarins qui se trouve fragilisé. Ces entreprises, qui œuvrent dans un environnement déjà complexe, sont souvent les premières à supporter les conséquences des discours négatifs et des accusations infondées. Chaque mise en cause non justifiée porte
atteinte à leur réputation et à leur capacité à se développer, contribuant ainsi à la déstabilisation de nos territoires. Cette situation n’est pas sans conséquence sur l’emploi local et sur la confiance nécessaire pour faire face aux défis économiques que nous rencontrons.
Dans ce contexte, nous vous appelons, Monsieur le Ministre d’Etat, à un dialogue constructif et factuel, fondé sur les chiffres et les réalités du terrain, afin de mieux comprendre les causes profondes de la cherté de la vie en Martinique. Nous restons disponibles pour toute rencontre ou échange sur ces sujets, dans le cadre d’échanges respectueux des enjeux de notre territoire, afin de partager ces éléments et d’élargir la réflexion sur des solutions pragmatiques et adaptées.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de notre considération distinguée et restons à votre disposition pour échanger plus avant sur ces sujets essentiels.
Pour les entreprises Martiniquaises,
Madame Catherine Rodap, Présidente du MEDEF Martinique
Monsieur Jean-Yves Bonnaire, Président de Contact-Entreprises Martinique
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Alors que le délai légal est de 30 jours, le délai global de paiement des collectivité territoriales et des établissements publics de santé étaient de 94 jours au 31/12/2024, dont 106 jours pour la Collectivité Territoriale de Martinique, et 41 jours pour les communes – source Direction Générale des Finances Publiques.
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En 2021, le nombre de fonctionnaire territoriaux pour 1000 habitants était de 42 en Martinique (plus fort taux national) contre 26 en moyenne pour la France entière – source FIPECO.