Une filière sous pression entre défis climatiques, économiques et marché international
Ce mardi 18 février, les acteurs de la filière Canne, Sucre, Rhum de Martinique se sont réunis à l’Hôtel Impératrice pour un bilan de la campagne 2024 et un regard prospectif sur 2025. Entre conditions climatiques inédites, baisse des rendements et concurrence internationale, la filière doit relever de nombreux défis. Malgré ces difficultés, les intervenants ont affirmé leur volonté de structurer et renforcer cette industrie essentielle, cette filière d’Excellence pour l’économie martiniquaise.
Parmi les personnalités présentes figuraient Érick Eugénie, président du Centre Technique de la Canne et du Sucre (CTCS) et représentant de Justin Céraline, président de la SICA Canne Union, Jérôme Froget, président du CODERUM, Olivier Grolleau, directeur du CTCS, et Marc Sassier, président du SDAORAM (Syndicat de Défense de l’AOC Martinique).
“Nous réalisons un tiers de notre chiffre d’affaires annuel entre octobre et décembre.
Cette année, nous avons subi de plein fouet les conséquences de la crise sociale,
qui a freiné la consommation.” Jérôme Froget
Jérome Froget, président du CODERUM
Un bilan mitigé pour 2024 : baisse de production et conditions difficiles
Une production de canne en léger recul
Erick Eugénie a ouvert la conférence en présentant les chiffres de la production de canne pour 2024. La Martinique a enregistré 206 431 tonnes de canne récoltées, soit une baisse de 1,05 %par rapport à l’année précédente. Cette récolte a été réalisée sur 4 013 hectares cultivés par 156 planteurs, avec 571 hectares de replantation.
La répartition de cette production reste stable :
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86,95 % des cannes ont été livrées aux distilleries pour la production de rhum agricole.
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13,05 % ont été destinées à l’usine du Galion pour la production de sucre et de rhum traditionnel.
Si la surface cultivée et le tonnage sont restés relativement constants, la qualité de la canne a souffert des conditions climatiques, entraînant une forte baisse du taux de saccharose.
“Nous avons eu un excès de pluies en fin de campagne,
ce qui a entraîné une chute brutale du taux de saccharose
et un impact direct sur la production de sucre et de rhum.” Érick Eugénie
Érick Eugénie, président du Centre Technique de la Canne et du Sucre (CTCS)
Effondrement de la production de sucre
Le secteur sucrier a enregistré une chute drastique de 36 % de sa production, passant de 1 034 tonnes en 2023 à 660 tonnes en 2024. Cette diminution est due à une baisse de 17 % du taux de saccharose, qui est tombé à 10,12 g pour 100 g de jus, contre 8,30 g l’année précédente.
Cette situation s’explique par des conditions météorologiques défavorables : des précipitations excessives ont dégradé la qualité de la canne en fin de campagne.
Une baisse significative de la production de rhum
Le rhum martiniquais, fleuron de l’agriculture locale et ambassadeur de l’île à l’international, a aussi subi les conséquences de cette baisse de rendement. La production est passée de 18,7 millions à 17,1 millions de litres à 55°, soit une diminution de 8 %.
Selon Marc Sassier et Jérôme Froget, la qualité moindre de la canne a directement impacté les rendements en rhum. Ce phénomène, conjugué aux effets de la crise sociale et à une baisse de la consommation touristique, a pesé sur les ventes.
Un marché sous tension : entre inflation, crise sociale et concurrence accrue
Impact de la crise sociale sur la consommation locale
Le dernier trimestre de l’année, période clé pour les ventes de rhum (avec les fêtes de fin d’année et l’arrivée des touristes), a été marqué par une baisse moyenne de 20 % des ventes, avec des chutes atteignant 80 % dans certains sites touristiques.
Selon les acteurs de la filière, cette baisse est directement liée à la crise sociale ayant affecté l’île en fin d’année, mais aussi au contexte inflationniste qui a poussé les consommateurs à privilégier les produits de première nécessité.
Des signes préoccupants sur les marchés extérieurs
À l’échelle nationale et internationale, le rhum martiniquais a connu un ralentissement. Pour la première fois en dix ans, les ventes ont reculé de 2,3 %.
Les raisons sont multiples :
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L’inflation qui pèse sur le pouvoir d’achat des consommateurs.
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Une grande distribution qui bloque les hausses de prix et privilégie des marges sur d’autres produits.
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Une concurrence accrue de rhums étrangers, souvent soumis à des réglementations plus souples (notamment sur l’ajout de sucres et d’arômes).
Le rhum martiniquais, malgré son Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), doit constamment défendre sa position face à des marques internationales comme Captain Morgan, qui détient 15 % du marché français.
“Nous faisons face à des produits qui ne respectent pas les mêmes exigences de production, notamment en matière d’ajout de sucre et d’arômes.
Pendant ce temps, nos marges sont bloquées par la grande distribution.” Marc SASSIER
Marc Sassier, président du SDAORAM (Syndicat de Défense de l’AOC Martinique).
Une feuille de route ambitieuse pour 2025
Priorité à la revalorisation agricole
Face à ces défis, la filière veut investir dans l’amélioration des rendements agricoles. L’objectif est de :
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Développer des solutions alternatives aux pesticides.
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Optimiser les itinéraires techniques pour adapter la culture aux évolutions climatiques.
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Améliorer la qualité de la canne afin de garantir une meilleure extraction du sucre.
Une production locale écoresponsable
La filière met en avant son modèle de production locale et durable :
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Une faible utilisation de produits phytosanitaires.
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Un recyclage des eaux de distillation (80 % à la distillerie du Simon).
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Une quasi-autonomie énergétique grâce à la valorisation de la bagasse.
Cette démarche environnementale, unique dans l’industrie du rhum, est un argument fort pour la différenciation sur les marchés.
Olivier Grolleau a insisté sur l’importance de ces mesures :
“Notre objectif est clair : améliorer les rendements
pour garantir la rentabilité des planteurs
et maintenir une production locale de qualité.”O. Grolleau
Olivier Grolleau, directeur du CTCS
Renforcement de la valorisation du rhum martiniquais
Pour soutenir la consommation locale et accroître la visibilité du rhum à l’international, plusieurs axes de travail sont prévus :
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Développement du spiritourisme en lien avec le Comité Martiniquais du Tourisme (CMT).
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Renforcement de la présence sur les salons internationaux.
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Protection renforcée de l’AOC Martinique contre les contrefaçons et abus de notoriété.
Jérôme Froget a résumé cette ambition en une phrase :
“Nous devons redoubler d’efforts pour faire rayonner nos rhums à l’international
et protéger notre identité face aux géants de l’industrie.”
Structuration et modernisation de la filière
Enfin, les représentants de la filière ont insisté sur la nécessité d’un travail collectif pour moderniser les infrastructures, améliorer la recherche et favoriser l’innovation.
Une filière en mutation qui veut défendre son avenir
Malgré une année difficile, marquée par des conditions climatiques extrêmes et un marché perturbé, la filière Canne, Sucre, Rhum de Martinique reste résolument tournée vers l’avenir. Les acteurs du secteur ont réaffirmé leur volonté de structurer et de renforcer leur position sur les marchés locaux et internationaux, tout en garantissant une production respectueuse de l’environnement et fidèle à l’excellence du terroir martiniquais.
Avec des défis de taille mais aussi de nombreuses opportunités à saisir, 2025 s’annonce comme une année charnière pour l’avenir de cette filière martiniquaise d’Excellence…
Filière pour laquelle chacun de nous devrait être fier !
Les deux ambassadrices du CODERUM qui seront au Salon de l’Agriculture.