La proposition de loi votée au Sénat sur la prohibition de toute manifestation ostensible des convictions religieuses dans le cadre des structures sportives soulève à nouveau la question de savoir si la laïcité est une source de discrimination au détriment, au cas d’espèce, des musulmans de France. La loi de 1905 est régulièrement invoquée pour dénoncer ce genre d’initiative. Elle ne dit pas en effet explicitement que la laïcité est porteuse d’une philosophie de la citoyenneté, consubstantielle au projet républicain, qu’il faut avoir présent à l’esprit pour comprendre sa portée. En séparant le politique du théologique, la République forgea une nouvelle communauté politique d’essence contractuelle dont la légitimité ne se fonde depuis ses origines que sur le consentement des citoyens à y participer. C’est la raison pour laquelle la République fut intrinsèquement anticléricale, au motif que la religion n’avait pas à s’immiscer dans la sphère des affaires publiques. Ce combat fut intense dans les premières décennies de la 3ème République.
Dès lors, prohiber les tenues ou le port de signes religieux manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans le cadre de compétitions sportives organisées par les fédérations sportives délégataires d’une mission de service public, interdire l’utilisation à des fins cultuelles des équipements municipaux, voire imposer le respect des règles de neutralité pour la fréquentation de piscines publiques, afin, en outre, de préserver le principe d’égalité entre les usagers de ces installations, n’a rien de choquant en soi.
De telles règles ne sont pas faites pour préjudicier telle ou telle confession. Elles sont faites pour rappeler que la République s’affirme symboliquement dans l’effort demandé à chacun, en certaines circonstances, de faire prévaloir, bon gré mal gré, son appartenance à la communauté des citoyens sur ses appartenances particulières, au motif que celle-ci transcende celles-là.
Cette exigence n’est que la conséquence du fait que la République postule l’existence d’un intérêt général supérieur aux diverses volontés de ses membres. Très justement la proposition de loi ne s’en tient pas qu’aux convictions religieuses mais englobe l’affirmation des convictions politiques. Elle aurait gagné à viser également les convictions philosophiques et syndicales qui doivent tout autant demeurer à la porte de la République.
Les espaces placés sous l’empire du service public marquent le territoire de la République parce qu’ils ne sont pas en effet de même nature que les galeries marchandes, les parcs et jardins ou les lieux de divertissement. Ils matérialisent l’engagement de la République au service de tous, non à raison des diverses confessions de chacun, mais au nom de la citoyenneté commune qui nous rassemble. Pour conclure, on pourrait affirmer que d’une certaine manière, ils sont l’église invisible de la République dans laquelle on pénètre tête nue.