Opinion
14H06 - vendredi 21 février 2025

Ukraine : alors que l’Europe peine à s’imposer, Moscou et Washington négocient à Ryad. L’analyse de Claude Moniquet

 

Les premières négociations directes entre Moscou et Washington ont commencé, mardi matin en Arabie saoudite. Le dossier principal sera évidemment la guerre en Ukraine à laquelle le Président Donald Trump a promis de mettre fin dans les plus brefs délais. On insiste toutefois à Washington sur le fait qu’il s’agit de discussions exploratoires et, en aucun cas, de régler immédiatement la question. Ces négociations interviennent alors que les soutiens européens à Kiev se sont rencontrés hier à Paris pour un mini-sommet qui n’a pas débouché sur grand-chose de concret sinon l’engagement à continuer à soutenir l’Ukraine et le vœu d’être associé à tous pourparlers de paix. Les États européens toutefois ne sont pas entendus sur la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine une fois la paix signée….

Les délégations américaine et russe ont commencé leurs discussions sur l’Ukraine à Ryad, ce matin. Côté russe, se retrouvent autour de la table l’indéboulonnable (il occupe son poste depuis vingt ans) ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Youri Ouchakov, conseiller de Vladimir Poutine en matière de politique étrangère, qui a précédemment occupé le poste d’ambassadeur de Russie aux États-Unis. Côté américain, trois hommes : le secrétaire d’État Marco Rubio, le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz et Steve Witkoff, envoyé spécial du Président américain au Moyen-Orient.

 

Un round d’observation ?

On peut tout attendre de cette réunion au sommet – la première à ce niveau depuis des années – mais il s’agit sans doute, essentiellement, d’un round d’observation. Washington a en effet souligné dès lundi que cette rencontre ne visait pas à entamer des négociations, mais à déterminer si la Russie était « sérieuse » au sujet de la fin de la guerre en Ukraine. Pour Moscou, la priorité affichée est de commencer à normaliser les relations avec les États-Unis. Mais la réunion de Ryad a d’ores et déjà fait un gagnant : l’Arabie saoudite qui s’affirme comme un joueur de premier plan à la grande partie d’échecs de la politique mondiale. Durant les années Biden, Ryad s’est employé à réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, son principal allié international et à nouer des relations plus étroites avec des pays considérés comme des rivaux clés de Washington, tels que la Russie et la Chine.

Alors que les discussions directes entre les responsables américains et russes se déroulent, l’envoyé spécial de Donald Trump pour l’Ukraine, le général Keith Kellogg, tient, quant à lui, des réunions séparées en Europe. La première a eu lieu à Bruxelles, avec le président du Conseil européen, Antonio Costa, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen qui a souligné que la discussion « avait été importante » et que l’Union européenne voulait être associée aux États-Unis « pour apporter une paix juste et durable à l’Ukraine. »

Le général Kellogg est désormais attendu en Pologne où il sera accueilli par le président Andrzej Duda puis à Kiev, d’où il pourrait, sur l’invitation de Volodymyr Zelensky, se rendre sur la ligne de front.

 

À Paris, un « mini-sommet » pour rien ?

Les discussions russo-américaines débutent au lendemain du « mini-sommet » de Paris consacré à l’Ukraine dont rien n’est sorti de très concret. Certes, les dirigeants européens ont répété qu’ils devaient avoir leur mot à dire dans les pourparlers internationaux visant à mettre fin à la guerre, mais tant à Washington qu’à Moscou, on estime que l’Union n’a aucun rôle à jouer à ce stade.

Et il est vrai que l’Europe a surtout affiché ses désaccords et sa relative impuissance. En trois heures de débats, les dirigeants de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie, de la Pologne, de l’Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de l’OTAN et de l’Union européenne n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la possibilité d’envoyer sur le terrain des troupes de maintien de la paix.

 

Pour Berlin discuter de l’envoi de troupes est « tout à fait inapproprié »

Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a affirmé qu’il était prêt à envoyer des forces britanniques sur le sol ukrainien aux côtés d’autres pays « s’il y a un accord de paix durable » et la Suède (qui ne participait pas au sommet de l’Elysée) lui a emboité le pas. Mais l’Allemagne, la Pologne et l’Italie se sont refusées à envisager cette possibilité, au moins sans participation américaine. Evoquant l’envoi de troupes européennes, le chancelier Olaf Scholz a martelé : « C’est tout à fait inapproprié, pour le dire franchement, et honnêtement : nous ne savons même pas quel sera le résultat » des négociations.

Pour la France, Emmanuel Macron que l’on avait connu plus offensif sur ce dossier a botté en touche. A l’issue du sommet, il s’est contenté d’une vague déclaration de principes, publiée sur « X » : « Nous recherchons une paix forte et durable en Ukraine. Pour y parvenir, la Russie doit mettre fin à son agression, et cela doit s’accompagner de garanties de sécurité fortes et crédibles pour les Ukrainiens. Nous travaillerons sur ce point avec tous les Européens, les Américains et les Ukrainiens ».

 

L’Europe, un nain politique

Face à la détermination russe et à la volonté américaine de marginaliser le vieux continent, l’union européenne est apparue, plus que jamais comme un nain politique. Une réalité traduite en des termes sans ambiguïté par le Premier ministre néerlandais, Dick Schoof : les Européens « doivent parvenir à une conclusion commune sur ce que nous pouvons apporter. Et de cette façon, nous finirons par obtenir une place à la table des négociations. Rester assis à la table sans apporter de contribution est inutile ». Keir Starmer, de son côté, souligne : « Il doit y avoir un filet de sécurité américain, car une garantie de sécurité américaine est le seul moyen de dissuader efficacement la Russie d’attaquer à nouveau l’Ukraine ». Mais Washington n’a, à ce jour, nullement semblé vouloir apporter cette garantie. Et lundi, le général Kellogg déclarait ne pas penser qu’il était « raisonnable et faisable que tout le monde soit assis à la table » : « Nous savons comment cela peut se passer et c’est ce que nous avons toujours dit, c’est de garder les choses claires et rapides autant que possible », a-t-il déclaré aux journalistes, lors de son passage à Bruxelles.

Cette remarque a, bien évidemment, réjoui Moscou. À son arrivée à Ryad, Sergueï Lavrov a abondé dans le sens de Kellogg : « Je ne sais pas ce qu’ils [les Européens] ont à faire à la table des négociations ».

Dans cette situation tendue et inédite, Londres semble toutefois vouloir tirer son épingle du jeu. Keir Starmer a déclaré qu’il se rendrait à Washington la semaine prochaine pour discuter avec M. Trump de « ce que nous considérons comme les éléments clés d’une paix durable ». Le Royaume-Uni pourrait profiter de cette crise transatlantique pour jouer les intermédiaires entre Washington et Bruxelles.

Seul point positif, les participants à la réunion de Paris ont confirmé leur volonté de renforcer leur défense. Pour le Polonais Donald Tusk : « Il y a unanimité sur la question de l’augmentation des dépenses de défense. C’est une nécessité absolue. » On notera que la Pologne, meilleur élève de l’Otan, consacre plus de 4 % de son PIB à la défense, plus que tout autre allié européen.

Enfin, on remarquera une (très légère) inflexion de la ligne dure qui était jusqu’à présent celle de la Russie. Mardi matin, le Kremlin affirmait que Vladimir Poutine était « prêt » à négocier avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky « si nécessaire ». D’autre part, Moscou a reconnu le « droit souverain » de l’Ukraine à rejoindre l’Union européenne : « L’adhésion de l’Ukraine à l’UE est le droit souverain de tout pays », a déclaré le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov. « Personne n’a le droit de dicter à un autre pays comment se comporter ». Une ouverture aussitôt tempérée quant Dmitri Peskov a abordé une éventuelle adhésion ukrainienne à l’Otan : « c’est complètement différent lorsqu’il s’agit de questions de sécurité et d’alliances militaires. Notre approche est différente et bien connue ».

 

À Ryad, Américains et Russes se disent satisfaits

Les pourparlers américano-russes se sont achevés mardi en début d’après-midi, après environ quatre heures et demie de discussions (déjeuner de travail compris).

Les premières réactions des deux parties sont particulièrement positives. La délégation russe s’est félicité du « sérieux » de la rencontre, tout en jugeant prématuré de parler de rapprochement des positions et d’une date pour un sommet entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Moscou, toutefois, insiste sur son opposition à tout déploiement en Ukraine de troupes de pays membres de l’Otan même sous drapeaux nationaux ou de l’UE.

Marco Rubio a déclaré, pour sa part, que tout le monde devra avoir une place à la table des négociations sur l’Ukraine y compris l’Union européenne : « Il y a d’autres parties qui ont des sanctions (contre la Russie), l’Union européenne devra être à la table à un moment donné parce qu’ils ont aussi des sanctions». Tammy Bruce, porte-parole de Marco Rubio a résumé les attentes de Washington : « poser les bases d’une future coopération sur des enjeux géopolitiques d’intérêt commun et sur les opportunités économiques et d’investissement historiques qui émergeront d’une issue réussie au conflit en Ukraine ». Toutefois, Mike Walz a insisté sur le fait que tout règlement devra inclure « une discussion sur les territoires » et sur des « garanties de sécurité » , car il « doit s’agir d’une fin permanente à la guerre, pas une fin temporaire, comme on a vu par le passé. On sait, c’est juste la réalité des choses, qu’il devra y avoir une discussion sur les territoires et qu’il y aura une discussion sur les garanties de sécurité » .

Washington et Moscou, enfin, sont tombés d’accord pour « désigner des équipes de haut niveau pour commencer à travailler sur une issue du conflit en Ukraine dès que possible, de manière durable, pérenne et acceptable pour l’ensemble des parties ».

Bref, alors que se négocie, entre Washington et Moscou, non seulement la paix en Ukraine , mais également l’avenir de la sécurité européenne, l’UE, pourrait – peut-être – quitter le banc de touche sur lequel elle semblait reléguée.

 

Claude Moniquet
Co-directeur d’ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center), consultant (CNEWS et Europe 1), auteur.
Dernier ouvrage paru : « Comprendre le 7 Octobre 2023 » (Volume 1: De la création d’Israël à l’offensive du Hamas) – Editions du Félin

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