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16H05 - jeudi 27 février 2025

Emmanuel Dupuy : « La cyber-guerre est déjà là, la France et l’Europe ont pris une longueur de retard ! »

 

« L’intelligence artificielle est un champ de bataille. La France, comme l’Europe, sont en train de la perdre et risquent de devenir des colonies d’acteurs étrangers » : telle est l’analyse sans concession qu’a adressée Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), lors de son intervention devant le Think Tank CAP et Opinion Internationale. Le géopolitologue a aussi considéré que mi-février à Paris, lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle rassemblant près de 150 pays, nous avons eu droit à « de belles paroles, mais qu’il ne s’y est pas dit grand-chose ». « Des déclarations de principes sur une IA verte, inclusive, respectueuse des droits de l’homme ». Pendant ce temps, les grandes puissances avancent leurs pions sur l’échiquier de la guerre numérique.

Emmanuel Dupuy dénonce une naïveté occidentale : « pendant que l’Europe se préoccupe de régulation et de contraintes légales, d’autres nations prennent le pouvoir, imposent leurs normes, maîtrisent l’algorithme, structurent l’avenir numérique du monde. L’Europe s’autolimite, pendant que la Chine et les États-Unis façonnent la réalité. JD Vance ne s’y est pas trompé. Il a quitté très rapidement ce sommet parisien, rappelant que les enjeux étaient ailleurs ».

Notre géopolitologue rappelle un chiffre : « 75% des régulations internationales sont décidées par 2% de la population mondiale. Que reste-t-il alors aux 98% restants ? Une soumission de fait ». Il y a ce qu’on veut imposer sur le papier, et il y a la réalité du monde. La guerre informationnelle, la guerre économique, la guerre technologique, sont déjà en cours. Qui peut encore croire que l’intelligence artificielle sera un espace de coopération universelle et bienveillante ? C’est un instrument de puissance. Un outil de domination. Celui qui maîtrise l’IA façonne les futurs rapports de force.

Il ne faut pas se tromper de combat. La cyber-guerre ne fait pas de distinction entre la sécurité nationale et la cybersécurité. L’information est une arme. L’algorithme est une arme. L’ingérence numérique est devenue la première ligne des conflits modernes. Qui aujourd’hui peut nier que les États utilisent les failles du cyberespace pour affaiblir leurs adversaires et que la Chine a construit un écosystème numérique qui lui permet d’influencer des millions d’individus en dehors de ses frontières ?

Mais l’ennemi n’est pas toujours celui que l’on croit. Le danger ne vient pas seulement de l’extérieur. Il vient aussi de notre incapacité à réagir. La France adore le vernis des grandes stratégies, les rapports, les colloques, les commissions, mais elle est toujours en retard dans l’action. Nous parlons de cyberdéfense, alors que nos adversaires parlent de cyber-attaque. Nous nous contentons d’être des spectateurs patients, là où d’autres sont déjà à l’offensive.

Le champ de bataille a changé. Il n’est plus seulement sur terre, dans les airs ou sous les mers. Il est dans l’espace numérique, dans les réseaux, dans les infrastructures critiques.

Emmanuel Dupuy rappelle que « la France investit moins dans l’industrie manufacturière que l’Allemagne. Seulement 10% de son PIB. Moitié moins ». Et pourtant, elle prétend jouer dans la cour des grandes puissances. Comment pouvons-nous être crédibles si nous ne possédons pas les infrastructures technologiques nécessaires à notre indépendance ? Nous ne fabriquons pas nos propres microprocesseurs. Nous ne possédons pas nos propres data centers. Les milliards d’investissements dans l’IA annoncés par Macron profiteront aux investisseurs étrangers bien plus qu’aux acteurs européens. Nous laissons des capitaux étrangers contrôler nos infrastructures numériques stratégiques. Nous devenons une colonie numérique. C’est un vrai risque. La question de la souveraineté ne peut plus être un débat d’intellectuels. C’est un impératif absolu. Car la dépendance technologique est une dépendance géopolitique.

Alors que faire ? Déréguler, accélérer, investir massivement. Ne pas se laisser enfermer dans une bureaucratisation mortifère de la technologie alors que le reste du monde est dans une logique d’open source. L’IA n’attend pas que l’on légifère pour évoluer. Si l’Europe continue de penser la technologie à coups de normes et de directives, elle se condamne à dépendre des autres. « Elle devient répulsive plutôt qu’attractive » regrette Emmanuel Dupuy. Il faut que les États reprennent le contrôle sinon l’Europe est perdue. Elle est déjà cannibalisée. Elle doit entrer dans une logique industrielle et concurrentielle. Ce qu’elle n’a pas compris à ce jour.

La France et l’Europe doivent se réveiller. Elles doivent cesser d’être des consommateurs passifs et devenir des producteurs de puissance technologique. Cela signifie des choix stratégiques forts : investir dans l’intelligence artificielle, dans les supercalculateurs, dans les industries critiques. Former tous nos élèves au codage pour reprendre la main sur les algorithmes et enfin les occidentaliser. Laisser de côté la prudence excessive qui nous a déjà coûté des décennies de retard sur d’autres domaines.

La guerre de demain ne se gagnera pas qu’avec des tanks et des avions. Elle se gagnera avec l’IA, avec la maîtrise des données, avec l’influence numérique. Pour Emmanuel Dupuy, « l’Europe n’a plus le luxe d’attendre : elle doit investir massivement dans l’IA ». Emmanuel Dupuy lance-t-il un pavé dans la mare en rappelant que « 300 milliards d’euros sont disponibles dans l’épargne européenne. N’est-ce pas le moment de l’utiliser alors que notre souveraineté est en jeu ? ».

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

5 idées clés à retenir

  1. L’IA, un champ de bataille déjà perdu pour la France et l’Europe ?
    Pendant que l’Europe régule, la Chine et les États-Unis dominent le jeu numérique.

  2. Une naïveté stratégique dangereuse
    L’IA n’est pas un espace de coopération, mais une arme de puissance et d’influence.

  3. Un retard industriel inquiétant
    Sans infrastructures technologiques propres, la France et l’Europe deviennent des colonies numériques.

  4. Déréguler et investir massivement
    La bureaucratie freine l’innovation, alors que le monde avance en mode open source.

  5. Se réveiller avant qu’il ne soit trop tard
    Former, produire, maîtriser les algorithmes : l’Europe doit cesser d’être spectatrice.
Directeur de la publication

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